Le président du Burundi, Pierre Nkurunziza. © Photo AFP |
Depuis la publication, par des médias burundais, de documents
détaillant l’évacuation en 2014 par l’Union européenne de deux lycéens et d’un
défenseur des droits de l’Homme, le pouvoir en place s’est emparé de l’affaire,
et veut y voir la preuve d’un complot.
La couleur est annoncée d’emblée: «Révélations
troublantes-Documents à l’appui: implications de l’UE dans la tentative de
"changement de régime" au Burundi.» Relayée sur le site
de l’Agence Bujumbura News, l’enquête
d’un mystérieux collectif nommé Burundi Facts se veut formelle:
l’évacuation fin 2014 par l’Union européenne d’opposants au président
Nkurunziza faisait partie d’un plan du Vieux Continent pour faire tomber le
chef de l’Etat.
Scannés en fin d’article, les fameux «documents à l’appui», ne révèlent rien de compromettant. Il
s’agit de contrats d’urgence finançant l’évacuation de deux lycéens dissidents
du parti au pouvoir et d’un défenseur des droits de l’Homme. Il y est expliqué
que ces derniers ont empêché un massacre au sein de leur établissement, puis
réchappé à une tentative d’empoisonnement, avant de demander l’aide du
défenseur des droits de l’Homme, Pacifique Nininahazwe, pour fuir le pays. Et
l’Union européenne aurait financé ce départ pour leur éviter des représailles.
Fake news
Mais les interprétations des Burundi Facts vont bon train sur le sujet, et
prennent des allures de fake news.
Sans élément de preuve, les rédacteurs de l’article supputent que «les élèves ont succombé vite à la tentation
des montants d’argent (que le militant des droits de
l'Homme) leur proposait en
vue de mener des actions de déstabilisation.» Et que les jeunes
gens auraient été mis à l’abri à l’étranger par l’Union européenne pour «éviter des sanctions»
provoquées par leurs grèves, poursuit le collectif proche du pouvoir.
Pour le gouvernement burundais, il s'agit de «faits graves imputables à la Délégation de l’Union européenne.
(...) Par ces documents (les
contrats d’urgence, NDLR), le
gouvernement vient de se rendre compte et de trouver une réponse claire aux
interrogations qu’il se posait sur les raisons des pressions
politico-diplomatiques de l’Union européenne contre le Burundi et ses prises de
positions toujours défavorables aux intérêts du Burundi»,
tonnait dans un
communiqué le porte-parole du Gouvernement, Philippe Nzobonariba, mardi 6
juin 2017.
De son côté,
sur le site de sa délégation à Bujumbura, l'Union européenne récuse «les fausses accusations de volonté de
déstabilisation du Burundi», indiquant qu’elles «se basent sur une interprétation
volontairement erronée d'un programme de soutien aux défenseurs des droits de
l'Homme». Contactée par Géopolis Afrique, la délégation confirme
l'authenticité des contrats publiés par Burundi facts, mais garantit
qu'il «n'y a rien à cacher:
la politique de l'UE reste de soutenir la démocratie et les droits de l'Homme
et leurs défenseurs et ces contrats sont un moyen de le faire. Mais il est évident que nous n'avons jamais
cherché à déstabiliser quelque régime que ce soit».
Bataille médiatique
«Le camp Nkurunziza sait utiliser
la force, il est notamment constitué d’anciens maquisards. Mais ils s’y
connaissent aussi en termes de bataille médiatique et maîtrisent bien les
réseaux sociaux. Burundi Facts est un bon exemple de caisse de résonance de
M.Nkurunziza», décrypte pour Géopolis Afrique Christian Thibon,
professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Pau, et spécialiste du
Burundi.
Et le chercheur de préciser le délicat contexte actuel: «La situation humanitaire est
catastrophique, alors même qu’on est dans la période de l’année qui génère
quelques revenus, avec la récolte de café. On constate des assassinats ciblés
d’opposants : sous couvert de stabilité, il règne une insécurité létale
dans le pays.»
Dans le même temps, le pouvoir tente aussi de montrer par tous les moyens qu’il
contrôle la situation. «Je
n’affirme pas que tout est rose ici, mais si on compare aux autres pays,
même en Europe, le degré de violence n’est pas nécessairement plus élevé au
Burundi», insiste de
son côté l’ancien ambassadeur du Burundi en Allemagne, Anatole Bacanamwo.
Renégociation du rapport de
force
«Le gouvernement burundais est
plus ou moins assuré d’avoir un soutien régional, garantit
Christian Thibon, sachant que le
Rwanda est en pleine campagne présidentielle et que les autres pays ont besoin
de l’aval de Bujumbura pour le prochain
accord ACP-UE. Le
Burundi a besoin de l’aide économique de l’Union européenne, donc ce rapport de
force est simplement amené à être renégocié.»
Cela fait déjà deux ans que ce pays de l’Afrique des Grands Lacs est en proie à
une importante contestation suite à la réélection pour un troisième mandat – en
violation de la Constitution – du président Pierre Nkurunziza, au pouvoir
depuis 2005. Tandis que l’opposition, divisée, a renié la
mission de médiation des Etats est-africains, la situation semble bloquée:
des deux côtés, les tentatives d’assassinats et les attaques à la grenade se
répètent, et les violences n’ont plus seulement lieu pour des raisons
politiques. Touché par des sanctions internationales, le Burundi doit faire
face depuis quelques semaines à une multiplication
des cambriolages et vols de nuit dans les rues de la capitale, Bujumbura.
Par Noe MichalonPublié le 09/06/2017 à 15H30
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