La chancelière allemande, Angela Merkel, et la Première ministre britannique, Theresa May, le 18 novembre 2016 à Berlin. Photo TOBIAS SCHWARZ. AFP |
Theresa May
espérait négocier en position de force la sortie
de son pays de l’UE. Son échec rend la situation
imprévisible.
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Le vote britannique renforce la main de
Bruxelles sur le Brexit
Le goût des conservateurs pour les aventures malheureuses
laisse pantois les partenaires de Londres : presque un an après
le hasardeux référendum du 23 juin 2016 qui a donné la victoire
au Brexit, ils ont eu droit au coup de poker perdu de Theresa May… Si le
résultat de ces législatives anticipées ne remet pas en cause la sortie du
Royaume-Uni de l’UE, les conditions dans lesquelles elle se passera deviennent
incertaines, Theresa May n’ayant pas obtenu «le mandat fort et clair» qu’elle demandait pour négocier
un «hard Brexit». Or l’horloge tourne : les négociations, qui doivent
officiellement commencer le 19 juin (rendez-vous confirmé par la Première
ministre) devront être terminées d’ici au 29 mars 2019 à minuit, sinon le
Royaume-Uni sautera dans le vide.
Seringue.
Une telle hypothèse prend corps puisqu’il «y a une tension entre le message
populaire, qui n’est pas favorable à une rupture totale avec l’Union, et le
résultat des élections, qui va faire dépendre la survie du gouvernement May des
franges les plus extrémistes du Parti conservateur», observe un
diplomate français de haut rang. «C’est
totalement paradoxal : les citoyens sont contre un hard Brexit, mais ils ont
renforcé les tenants du hard Brexit», ajoute-t-il. Theresa May va
donc aborder les négociations avec l’Union européenne dans une position de très
grande faiblesse. «On est
suspendu à ce qui va se passer à Londres, confie un diplomate
européen. Quelles leçons la
Première ministre va-t-elle tirer de ces élections ?» A Bruxelles,
on craint qu’elle devienne encore plus imprévisible qu’elle ne l’était en
changeant sans cesse de ligne en fonction des rapports de force internes. Car
elle s’est placée elle-même dans une seringue : «Si elle se montre trop laxiste, elle perdra le soutien des durs de son
parti. Mais si elle se montre trop dure, elle n’aura pas de majorité au
Parlement, les travaillistes et les Ecossais voulant garder autant que se peut
les avantages du marché unique», ajoute un autre diplomate.
Surtout, «elle a perdu l’élément
de chantage qu’elle avait sur l’Union en menaçant, si on ne faisait pas droit à
ses exigences, de transformer son pays en paradis fiscal et social. Or les
Britanniques ont montré qu’ils ne voulaient pas d’un démantèlement de l’Etat
social et nous le savons tous», analyse ce fin connaisseur des
enjeux du Brexit.
«Chaos».
On se demande aussi à Bruxelles comment Theresa May
va parvenir à se débarrasser de la promesse imprudente qu’elle a faite en
s’engageant à régler le statut futur du Royaume-Uni vis-à-vis de l’Union avant
la conclusion des négociations sur le Brexit, ce que refusent les Européens. «Si elle a convoqué ces élections
anticipées, c’était aussi pour se donner deux ans de plus, jusqu’en 2022,
pour conclure un accord de libre-échange après le Brexit, car elle sait que
c’est impossible d’ici à 2019. Mais pour ça, il lui fallait une majorité à
sa main, ce qu’elle n’a pas obtenu», s’amuse un diplomate français
de haut rang, qui se demande comment la locataire du 10, Downing
Street va parvenir à se sortir de ce piège. Car s’il n’y a aucun accord sur le
statut futur du Royaume-Uni, la Chambre des communes risque de retoquer le
résultat des négociations. Si résultat, in fine, il y a… Bref, comme le résume
Manfred Weber, le président du groupe PPE (conservateur) au Parlement
européen, May «voulait de la
stabilité, mais elle a plutôt apporté le chaos à son pays».
A Paris, on ne dit pas vraiment autre chose : «On sait que le résultat des négociations
sera mauvais pour le Royaume-Uni, mais on peut divorcer soit de manière
ordonnée - c’est-à-dire en donnant au pays des périodes de transition
nécessaires afin de limiter les effets négatifs du Brexit -, soit de manière
désordonnée. Et là ça fera très très mal.» A la Commission
européenne de Bruxelles, on se demande si les autorités britanniques ont
vraiment pris la mesure des défis qui les attendent, à la fois pour transposer
dans leur droit l’ensemble de la législation communautaire, ce qui imposera,
par exemple, de créer toute une série d’autorités qui n’existent pour l’instant
qu’au niveau européen, mais aussi pour ménager les intérêts de leurs
entreprises. Or Theresa May vient de faire perdre deux mois précieux à son
pays, puisqu’il ne s’est rien passé depuis le 29 mars, date à laquelle elle
a activé l’article 50 du traité sur la sortie de l’UE. Et face à elle, le
bloc des Vingt-Sept n’a jamais été aussi uni, et uni sur une ligne dure.
L’avenir du Royaume-Uni s’est donc un peu plus assombri jeudi.
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