MONDOVISION.
Rien de tel qu'un acte militaire pour poser son président ! Mais si le
bombardement de la base syrienne constitue un virage à 180 degrés dans sa
politique, Trump apparaît sans véritable réflexion sur le "coup
d’après"...
Oubliez tout ce que vous avez lu sur Donald Trump depuis
bientôt six mois : il aurait suffi d'un
lancer de missiles Tomahawk sur une base syrienne pour que, pour reprendre
l'expression de l'analyste de CNN Fareed Zakaria, "Donald Trump devienne
vraiment président des Etats-Unis".
Il faut dire que pendant la campagne électorale l'an
dernier, et depuis son élection surprise le 8 novembre, Donald Trump a mis en
avant son slogan "America First", et donné le sentiment au reste du
monde que ses tumultes importaient peu.
Oubliez tout ce que vous avez lu sur Donald Trump depuis
bientôt six mois : il aurait suffi d'un
lancer de missiles Tomahawk sur une base syrienne pour que, pour reprendre
l'expression de l'analyste de CNN Fareed Zakaria, "Donald Trump devienne
vraiment président des Etats-Unis".
Trump et le
reste du monde
En Asie, au Moyen Orient et en Europe, les alliés des
Etats-Unis se préparaient à un monde sans le gendarme américain, un monde
auquel, dans une large mesure, les huit années de pouvoir de Barack Obama
avaient commencé à les accoutumer.
MONDOVISION.
Europe sans cap, Russie imprévisible... bienvenue dans l'ère du chaos
multipolaireL'épisode des armes chimiques de Bachar el-Assad
en 2013 et le renoncement de Barack Obama à "punir" le franchissement
de cette "ligne rouge" qu'il avait lui-même tracée est dans toutes
les mémoires. Et Donald Trump, à l'époque, avait abondamment tweeté pour
encourager le président d'alors à ne pas bombarder la Syrie.
Un virage à
180 degrés
Le bombardement,
la semaine dernière, de la base de Shayrat, d’où seraient partis les avions
qui ont effectué le bombardement à l'arme chimique contre un village syrien
tenu par la rébellion, constitue assurément un virage à 180 degrés par rapport
à tout ce qu'a dit - et tweeté - le président américain jusque-là.
Pour autant, on cherche encore vainement la doctrine qui
sous-tendrait ce virage, y compris lorsque les responsables de l'administration
tentent de l'expliquer. Dimanche 9 avril, sur la chaîne ABC, le secrétaire
d’Etat Rex Tillerson a esquissé un début de règle :
"Le message que toutes les nations
doivent recevoir est le suivant : 'Si vous violez les normes internationales,
si vous violez les accords internationaux, si vous ne respectez pas vos
engagements, vous constituez une menace pour les autres et une réaction est à
attendre'."
Le message de Tillerson s'adresse d'abord à
la Corée du Nord, l'autre point chaud planétaire de ce début de mandat de
Trump, qui n'entend pas laisser le dictateur Kim Jong-un développer le missile
balistique qui lui permettrait de menacer le sol américain avec des têtes
nucléaires.
Rex
Tillerson, chien fidèle d'un maître fantasqueWashington a déjà menacé
d'agir seul si Pékin, le voisin et protecteur de la Corée du nord,
n'amène pas Kim Jong-un à la "raison", c'est-à-dire à stopper ses
efforts nucléaires et balistiques. Un porte-avions américain et sa flottille
sont d'ailleurs en route vers la péninsule coréenne, comme si le sommet
sino-américain de Mar-a-Lago n'avait pas permis d'avancer sur ce sujet.
Sommet
Trump - Xi à Mar-a-Lago : entre business et rivalité Mais quelle est donc
la "doctrine Trump" de sécurité ? Est-on revenu sans le dire au
bon vieux rôle de "gendarme sur tous les continents et toutes les
mers" qui, jusqu’à Barack Obama, était devenu la norme ? Pour le
meilleur ou pour le pire ?
Sous le coup
de l'émotion
Donald Trump lui-même a plutôt donné l'impression, dans sa
première intervention publique pour annoncer les frappes en Syrie, d'avoir agi sous le
coup de l'émotion, après avoir vu (sans doute sur Fox News) les images des
enfants victimes du bombardement chimique, plutôt qu'à partir d'une doctrine
sécuritaire bien établie.
Ainsi, les images qui ne l'avaient pas ému en 2013, alors
qu'il y avait eu plus de mille victimes, l'ont poussé à agir cette fois avec
vingt fois moins de victimes. C'est ce que les historiens appellent la
"logique fonctionnelle", me fait observer sur Twitter l'un d’entre
eux, Vincent Duchaussoy : "La fonction joue plus que l'homme dans la
prise de décisions".
Sans doute faut-il y ajouter l’évolution des rapports de
force à l’intérieur de l’administration Trump, le résultat de farouches
batailles de coulisse qui ont agité la Maison-Blanche depuis bientôt trois
mois. Les premières nominations du nouveau président ont été très idéologiques,
Steve Bannon, l’ex-rédacteur en chef du site d’extrême droite Breitbart News,
comme Conseiller Stratégique, membre également du puissant Conseil de sécurité
nationale (NSC) ; ou le général Michaël Flynn comme Conseiller à la
Sécurité nationale.
Des rapports
de force modifiés
Deux mois et beaucoup d'intrigues de palais plus tard, les
rapports de force ont changé. Exit le "général fou" Flynn pour
mensonge sur ses contacts avec la Russie, et Steve Bannon, l'idéologue de
l’apocalypse, doit quitter le NSC sans pour autant quitter la Maison-Blanche.
L’heure est aux "adultes" de l’administration,
comme les surnomme joliment le chroniqueur du "New
York Times" Thomas Friedman les généraux Jim Mattis, Herbert R.
McMasters, John Kelly, ou encore l’officier de cavalerie Mike Pompeo,
respectivement secrétaire (ministre) à la Défense, conseiller à la Sécurité
Nationale, secrétaire (ministre) à la Sécurité intérieure, et directeur de la
CIA ; auxquels il faut ajouter un civil, le secrétaire d’Etat Rex
Tillerson, venu du secteur privé, ex-PDG du géant pétrolier Exxon.
Ce "temps des généraux", comme nous avions déjà
titré cette chronique fin février annonçait un recentrage sur un agenda
républicain plus conventionnel, moins "trumpien".
Donald
Trump ou le temps des générauxIl fallait encore en donner le signal.
L'attaque chimique syrienne en a fourni le prétexte, permettant en 48 heures à Donald Trump
d'apparaître comme le "commander-in-chief" qu'il n'est pas vraiment
quand ce sont ses généraux qui ont mené la danse.
Mais Trump n'a pas laissé passer l'occasion de se
"présidentialiser", avec cette photo répliquant, au visage angoissé
près, celle de Barack
Obama suivant sur un écran de contrôle, le déroulement de l'opération
d'élimination d'Oussama
Ben Laden dans sa cache du Pakistan. L'obsession maladive de Trump à
apparaître meilleur qu'Obama n'est pas étrangère à cette conversion guerrière,
tout comme l'opportunité de montrer que le nouveau président n’est pas la
"marionnette" de Vladimir Poutine.
Peu importe que l'enjeu ne soit ni militairement, ni
symboliquement aussi important : le message est passé et rien de tel qu'un
acte militaire pour poser son président. Surtout quand rien d'autre ne
fonctionne dans son administration : rebuffade des juges sur le décret
anti-immigrés musulmans, échec au Congrès sur l'Obamacare, difficulté à nommer des
gens compétents aux trop nombreux postes encore vacants...
Trump et le
"coup d'après"
Les principaux alliés des Etats-Unis, -France, Allemagne,
Arabie saoudite, Turquie…- se sont publiquement réjouis de cette action, même
si, en privé, ils ne cachent pas quelque dépit. Les Etats-Unis ont agi seuls,
sans concertation (juste une information quelques minutes avant de passer à
l'acte) avec qui que ce soit, hors de tout cadre légal ou même des coalitions
qu'ils ont eux-mêmes mises en place.
Trump apparaît également sans véritable réflexion sur le
"coup d'après", l'éternelle question des interventions militaires,
qui a provoqué les désastres d'Irak (2003) et de Libye (2011).
Un nouveau "gendarme" est donc né. Mais on en
attend encore la doctrine. L'impulsion émotionnelle et les arrières-pensées
politiques ne suffisent pas dans un monde beaucoup plus complexe que lorsque
les Etats-Unis étaient la seule superpuissance, l'"hyperpuissance"
théorisée en son temps par Hubert Védrine.
En attendant, les vieux réflexes reprennent le dessus à
Washington. L'administration hausse le ton contre Kim Jong-un, mais
reçoit en grande pompe et cautionne le pouvoir
égyptien du maréchal égyptien Abdel Fattah al-Sissi sans un mot sur son
bilan désastreux en matière de droits de l'homme.
Trump
loue le "travail fantastique" du président Sissi en EgypteIl y a
les pays du "mal", et les "amis" sur lesquels on sera moins
regardant. Ça rappelle la phrase de Roosevelt sur un dictateur
latino-américain : "C’est peut-être un salaud, mais c'est le
nôtre…" A défaut de doctrine, ça permet une lecture simple du monde.
Pierre
Haski
Publié le 11 avril 2017 à 07h11
Pierre
Haski
Publié le 11 avril 2017 à 07h11
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