Donald Trump lors d'une conférence de presse à propos de la Syrie, le 6 avril 2017 à Mar-a-Lago en Floride | JIM WATSON / AFP |
L’Amérique
est de retour et Donald Trump se présente comme un interlocuteur indispensable
qui n’est pas décidé à laisser la Russie de Poutine occuper le vide que, selon
lui, son prédécesseur avait laissé s’installer.
Donald Trump lors d'une conférence de presse à propos de
la Syrie, le 6 avril 2017 à Mar-a-Lago en Floride | JIM WATSON / AFP
Ce n’est pas le retour de la Guerre froide. Encore moins
les prémices d’une Troisième Guerre mondiale. Certes la Russie a réagi vivement
au
raid américain sur Shayrat dans la nuit du 6 au 7 avril, la base
militaire de son allié syrien, mais les déclarations des dirigeants de Moscou
ne vont pas au-delà de ce qui était attendu dans de telles circonstances. Et de
chaque côté, on prend grand soin d’éviter le geste de trop qui pourrait mettre
le feu aux poudres.
Un «gros
coup porté aux relations russo-américaines», une «violation du droit international»,
une «agression contre un Etat
souverain», a
déclaré Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin. Le ministre des affaires
étrangères Sergueï Lavrov a
dénoncé «un faux prétexte»,
allusion au bombardement au gaz sarin par l’aviation syrienne du village de
Khan Cheikhoun, destiné, selon lui, à «détourner l’attention des victimes civiles en Irak» (dans
la bataille de Mossoul).
Un geste symbolique du Kremlin
Moscou a pris la décision de «suspendre» l’accord
d’information mutuelle passé avec les Etats-Unis à l’automne 2015 quand la
Russie est intervenue massivement dans le conflit syrien. Le ciel est encombré
par les appareils de la coalition internationale qui bombardent Daech en Irak
et en Syrie auxquels se sont ajoutés les chasseurs russes. L’accord avait pour
but d’empêcher tout incident. «Suspendre» n’est pas «annuler» et il y a fort à
parier que les échanges d’informations se poursuivront de manière informelle.
Le Kremlin fait un geste symbolique. C’est le minimum destiné à rassurer ses
alliés sur sa détermination. Les responsables militaires américains avaient
d’ailleurs averti leurs collègues de l’imminence des frappes de missiles de
croisière sur la base de Shayrat, afin que ni le personnel, ni les appareils
russes ne risquent d’être touchés. De son côté, la Russie n’a pas activé ses
défenses anti-missiles qui lui donne en théorie la maitrise de l’espace aérien
syrien.
«La
réputation de Vladimir Poutine est en jeu», a confié Taleb Ibrahim,
un politologue pro-Assad basé à Damas, cité par Le Monde. Le président russe ne
doit pas montrer des signes de faiblesse au moment où son homologue américain
montre ses muscles. L’utilisation de gaz sarin par le régime syrien l’a déjà
placé dans une position délicate. En 2013 en effet, Vladimir Poutine avait tiré
Barack Obama d’un mauvais pas en s’engageant à faire détruire
le stock d’armes chimiques de la Syrie contre le renoncement à des frappes
occidentales contre Bachar el-Assad après une attaque chimique qui avait fait
plus d’un millier de morts dans la banlieue de Damas. Force est de constater
que tout le stock n’a pas été détruit. Soit Vladimir Poutine a fermé les yeux
sur les agissements de son allié syrien, soit il s’est laissé grugé par
celui-ci. Dans les deux cas, il n’en sort pas grandi.
La survie de Bachar el-Assad dépend du soutien russe mais
le dictateur syrien retourne sa faiblesse contre son tuteur en le plaçant
devant des faits accomplis. La diplomatie russe, avec l’aide de la Turquie et
dans une moindre mesure de l’Iran, essaie péniblement de relancer une
négociation en vue d’une solution politique du conflit. Assad qui, lui, prétend
se battre «jusqu’à la victoire», perturbe les plans russes et oblige le Kremlin
à se ranger à ses côtés, à un moment où il craint l’enlisement dans une guerre
coûteuse pour son économie.
La perplexité russe face à Donald Trump
Le raid américain sur la base de Shayrat redonne un espace
politique à Vladimir Poutine. Le président russe pourra juger de sa marge de
manœuvre lors de la visite à Moscou, cette semaine, du
secrétaire d’État américain Rex Tillerson. Comme tout le monde, la
diplomatie russe s’interroge sur les véritables intentions de Donald Trump.
L’espèce d’euphorie qui avait saisi nombre de responsables russes au lendemain
de l’élection du magnat de l’immobilier a depuis longtemps laissé la place à la
perplexité. Les déclarations contradictoires du candidat puis du président
n’ont pas aidé à y voir plus clair. Compte-tenu des liens d’une partie de son
entourage avec Moscou, Donald Trump bénéficiait en Russie d’un préjugé d’autant
plus favorable que son adversaire démocrate était devenue la bête noire du
Kremlin. Or le président qui apparaissait comme le plus «isolationniste» depuis
des décennies, est celui-là même qui a ordonné la première action militaire
américaine dans le conflit syrien, du jour au lendemain, sans attendre une
enquête internationale et a fortiori une autorisation des Nations unies.
A-t-il agi sur un coup de tête? Ou poursuit-il une
stratégie mûrement réfléchie? Les diplomates russes détestent l’imprévisibilité
que Donald Trump, justement, revendique comme une de ses principales qualités.
Ils remarquent cependant que les généraux dominent dans la nouvelle
administration, que son conseiller spécial Stephen Bannon, chantre du repli sur
l’Amérique, a vu son étoile pâlir, dans le même temps où le chef du Conseil
national de sécurité, Herbert Raymond McMaster, s’est distingué par ses
critiques envers la Russie et a embauché à ses côtés Fiona Hill, une chercheuse
anglo-américaine peu indulgente envers Poutine.
Une invitation au dialogue lancée à Moscou?
En quelques jours, Donald Trump a mis en scène une
amélioration de ses relations avec la Chine de Xi Jinping, adressé un coup
de semonce à Bachar el-Assad, dont il semblait s’accommoder auparavant, envoyé
un signal de fermeté à la Corée du nord en
expédiant un porte-avions nucléaire dans ses parages. L’Amérique est de
retour et Donald Trump se présente comme un interlocuteur indispensable qui
n’est pas décidé à laisser la Russie de Poutine occuper le vide que, selon lui,
son prédécesseur avait laissé s’installer.
La diplomatie russe va chercher à explorer une voie: aussi
paradoxal que celui puisse paraître, le raid américain sur la base de Shayrat,
au-delà de son aspect «punitif», n’est-il pas une invitation au dialogue lancée
à Moscou? Voire à la concertation et pourquoi pas à une forme
d’entente entre les États-Unis et la Russie? Pour Vladimir Poutine, ce
serait déjà un succès que de parler d’égal à égal avec le président américain.
Et de l’entraîner dans un vaste marchandage où se retrouveraient pêle-mêle la
Corée du nord, l’Ukraine, la Crimée, le Moyen-Orient, la lutte contre Daech,
les relations avec l’Iran, allié aux côtés de Bachar el-Assad mais rival dans
le monde musulman… et les sanctions dont Moscou espère la levée.
Loin d’être le prélude à une
nouvelle détérioration de la situation internationale, la décision surprise de
Donald Trump d’intervenir en Syrie serait alors le premier pas d’un retour à la
diplomatie. Cette interprétation repose sur l’existence d’une vision
stratégique chez le président américain. Un présupposé audacieux.
Daniel Vernet — ,
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