Phnom Penh a interdit le commerce destiné à des bébés et sportifs américains, mettant fin aux activités d'une entreprise dirigée en Utah par un missionnaire mormon.
La semaine dernière, le gouvernement du Cambodge suspendait temporairement l’exportation de lait maternel. Ce commerce est désormais interdit et les locaux de l’entreprise américaine Ambrosia Labs Ltd, installés depuis environ un an à Stung Meanchey, une banlieue pauvre de Phnom Penh, ont fermé.
Le commerce de lait humain, interdit en France, se développe dans de
nombreux pays, y compris en Allemagne ou au Royaume-Uni, porté par les
campagnes d’encouragement à l’allaitement maternel. Le site américain Broadly a
consacré en mars un reportage aux activités d’Ambrosia Labs au
Cambodge. Son cofondateur, Bronzson Woods, un ancien missionnaire mormon
vivant dans l’Utah, expliquait au journal féministe que son entreprise
employait une vingtaine de donneuses cambodgiennes, chacune rémunérée
entre 5 et 10 dollars par jour, et encadrées médicalement. Une somme
importante, qui aboutit à environ le double du revenu annuel moyen
(1 160 dollars, soit 1 075 euros) dans un des pays les plus pauvres
d’Asie. Pasteurisé puis congelé, le lait collecté était expédié aux
Etats-Unis, où la demande est en plein essor.
Petites annonces
Au Canada ou aux Etats-Unis, des sites comme Breastmilkshare.com se
sont fait une spécialité de ce segment commercial particulier, encore
très peu réglementé. On peut trouver des annonces pour du lait maternel
sur des équivalents du Bon Coin comme Craigslist ou Kijiji, sans aucun
contrôle sanitaire. La Food and Drug Administration américaine alerte
néanmoins sur le fait que «lorsque le lait humain est obtenu
directement auprès de personnes ou par Internet, il est peu probable que
le donneur ait fait l’objet d’un dépistage adéquat en ce qui concerne
les maladies infectieuses ou le risque de contamination» et qu’il ait été «collecté, traité, testé et stocké de manière à réduire les risques possibles pour la santé du bébé». Ambrosia
Labs assurait que toutes les précautions étaient prises de son côté,
dans la sélection des donneuses comme dans le transport. Une déclaration
sur parole, puisque aucun organisme ne contrôle ce genre d’activités.
Ces dernières semaines, suite au reportage de Broadly, des
ONG cambodgiennes s’étaient élevées contre Ambrosia Labs, qu’ils
accusaient d’exploiter la misère de jeunes femmes amenées à vendre leur
lait pour survivre plutôt que de nourrir leur enfant. Sur son site
internet, la firme américaine vante une opération «gagnante pour les deux parties»
dans ce pays que Bronzson Woods connaît bien pour y avoir mené une
mission d’évangélisation pour l'Eglise de Jésus-Christ des saints des
derniers jours, avant de rentrer aux Etats-Unis et de fonder son
entreprise. D’un côté, des mères cambodgiennes «ayant un bébé de plus de 6 mois et du lait en excédent» – une
notion difficile à mesurer –, bénéficient d’un revenu et d’un suivi
médical, et un règlement leur interdit de se faire tirer le lait plus de
deux fois par jour, «ce qui leur permet de continuer à allaiter leur enfant». De l’autre côté, les parents américains «voulant le meilleur pour leur enfant» trouvent du «lait maternel de bonne qualité et sûr» sans prescription médicale. Le tout dans une relation commerciale car «l’allaitement est un travail difficile qui doit pouvoir être reconnu financièrement».
Dans le Phnom Penh Post, une jeune mère isolée raconte
comment elle se rendait chaque jour dans la petite clinique d’Ambrosia,
heureuse de ce revenu inespéré, et qu’elle a dû depuis la fermeture
reprendre des petits boulots dangereux et mal payés, dans ce quartier où
nombre d’habitants vivent de la récupération de déchets.
Sportifs et bodybuilders
Les parents de nourrissons sont loin d’être les seuls clients
potentiels sur le marché du lait maternel. Il est aussi recherché comme
complément alimentaire par des sportifs de haut niveau et des
bodybuilders convaincus de ses qualités réelles ou imaginaires. Le
mastodonte du secteur, le site Only The Breast, lancé en 2009, a même
une page réservée aux hommes, où la formulation des petites annonces
tient plus du fantasme sexuel que de l’argument santé.
Sur les registres du commerce maritime, on trouve trace d’un premier
envoi de 536 kilos de lait maternel par Ambrosia Labs vers l’Utah, en
juin 2016, puis un second en septembre, ce qui représente bien plus que
la «production» de vingt femmes. Selon Broadly, l’once de lait
(environ 28 g) tiré était payée 0,64 dollar aux mères cambodgiennes. Si
l’on croit les tarifs affichés en ligne, elle est revendue 3,90 dollars
aux Etats-Unis, «livrée par Fedex dans les cinq jours en paquets congelés».
L’Unicef Cambodge avait demandé la semaine dernière l’interdiction
d’Ambrosia Labs, mettant en avant le paradoxe d’exporter du lait
maternel pour un pays au taux de mortalité infantile le plus élevé en
Asie du Sud-Est, et où 45% des enfants souffrent de malnutrition. Mardi,
le gouvernement a annoncé «des mesures immédiates pour empêcher l’achat et l’exportation du lait maternel», précisant que «certes, le Cambodge est pauvre et a des difficultés, mais pas au point de devoir vendre le lait de ses mères». Après le Népal, la Thaïlande et l’Inde, le Cambodge avait mis fin en octobre à la gestation pour autrui rémunérée.
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