Trois mois après son entrée en vigueur, le 1er janvier, la nouvelle loi de Pékin réglementant les «activités des organisations non-gouvernementales étrangères sur le continent chinois» a jeté un froid sur toute la société civile.
«Tout est inquiétant dans cette loi, sans parler du fait que nous sommes désormais placés sous la supervision du ministère de la Sécurité publique. On s’y attendait, certes, mais ça reste un choc. Le gouvernement redoute une "révolution de couleur" en Chine. C’est pour ça qu’il a mis les ONG étrangères sous son contrôle. » Tout en parlant de sa voix calme, les yeux cachés derrière de larges lunettes de soleil noires, Li Mei (1) fixe en permanence le lac Xihai où elle a donné rendez-vous, ce jour-là, sur un petit banc du vieux Pékin. En raison des visites fréquentes de la police, voilà plusieurs mois déjà que cette Chinoise, une militante antisida chevronnée, ne travaille plus physiquement dans les bureaux de l’ONG américaine qui l’emploie dans la capitale chinoise. Comme elle, ses collègues expédient au mieux les tâches courantes depuis leur domicile. Les ateliers qu’elle animait sont à l’arrêt, qui sait pour combien de temps encore ? Depuis que la Chine s’est dotée, en début d’année, d’une grande loi plaçant les quelque 7 000 ONG étrangères basées dans le pays sous la coupe de la police, Li Mei est dans le brouillard le plus total. « Je n’ai aucune idée pour la suite. Nous voulons garder une présence en Chine, même réduite, car si on fait nos bagages pour de bon, cela sera très difficile de revenir. »
Implantation légale
Trois mois après son entrée en vigueur, le 1er janvier
2017, la nouvelle loi de Pékin réglementant les «activités des
organisations non-gouvernementales étrangères sur le continent chinois» a
jeté un froid sur toute la société civile. Le texte, symbole du tour de
vis politico-idéologique qui s’opère en Chine depuis l’arrivée aux
commandes, fin 2012, du président Xi Jinping, exige pour la première
fois que les ONG étrangères disposent d’une implantation légale en Chine
pour pouvoir opérer sur place. Concrètement, celles-ci doivent d’abord
s’associer avec une «unité professionnelle de supervision»
choisie parmi une liste préétablie d’organisations chinoises, publiques
ou semi-gouvernementales, travaillant sur les mêmes thématiques.
Ensuite, la loi donne trente jours pour s’enregistrer formellement
auprès du ministère de la Sécurité publique, la police chinoise. Mais à
ce stade, en janvier, seules 32 ONG étrangères, comme le World Economic
Forum (l’organisateur de Davos) ou Save the Children, bien dotées et
déjà en règle avant le nouveau texte, avaient obtenu le feu vert, selon
Shawn Shieh du China Labour Bulletin, une ONG basée à Hongkong défendant
les droits des travailleurs.
Li Mei, elle, est dans l’attente. Comme pour son organisation, des
dizaines d’ONG internationales, plus petites ou sans aucun statut légal
en Chine, ont mis leurs opérations en suspens, le temps de démêler les
implications de cette loi, la première du genre pour le pays. Beaucoup
attendent simplement que leur future «unité professionnelle de
supervision» daigne répondre au téléphone. D’autres, trop habituées à se
tenir loin du gouvernement par crainte de représailles, ne l’ont
toujours pas identifiée. «Le travail de recherche continue. Mais les conférences et les programmes sont mis en sourdine», regrette la jeune Chinoise. «Nous avons des projets, des employés et des donateurs, mais nous sommes plantés là. Tout est bloqué»,
s’énerve de son côté la directrice Chine d’une grande ONG
internationale. Quelques organisations ont préféré faire leurs valises,
comme l’American Bar Association (ABA), le lobby des avocats américains.
Fondée en 1878, cette gigantesque organisation (400 000 membres)
n’avait plus que 3 employés à Pékin, lorsqu’elle a jeté l’éponge, en
décembre, mettant fin à deux décennies de travail sans relâche en faveur
de l’Etat de droit en Chine. «Etant donné le resserrement du climat
politique, les incertitudes et le manque d’informations sur comment la
nouvelle loi serait appliquée, nous avons décidé de fermer
temporairement notre bureau à Pékin en attendant de pouvoir nous
enregistrer», explique Brianne Stuart, vice-directrice Asie du programme «Etat de droit» chez ABA.
Paperasserie
«Le ministère de la Sécurité publique n’a jamais été
l’administration de référence pour les ONG. C’est comme si, aux
Etats-Unis, on nous avait mis tout d’un coup sous la coupe de la CIA !» s’alarme
une autre Européenne travaillant dans ce secteur. Jusqu’à présent, les
ONG étrangères étaient tenues de s’enregistrer auprès du ministère des
Affaires civiles, selon la loi chinoise de 2004 sur les fondations. En
raison de la complexité des démarches, cependant, seules les plus
grosses institutions, comme le WWF ou la Fondation Bill & Melinda
Gates, étaient venues à bout de la paperasserie. Les plus petites
structures travaillant de surcroît sur des dossiers ultrasensibles,
comme les droits des minorités ethniques, opéraient en revanche dans une
zone grise, sans aucun statut. D’autres, enfin, étaient apparentées
officiellement à des entreprises commerciales.
Mais en 2014, suivant son voisin russe,
la Chine décide de mettre un terme à ce flou juridique. Les ONG
elles-même demandaient depuis longtemps un cadre légal et unifié. «Le
gouvernement veut restructurer la société civile, avoir voix au
chapitre. Le problème, c’est que la loi a été conçue avec certaines ONG
indésirables en ligne de mire, dont ABA faisait probablement partie»,
croit savoir une juriste à Pékin, ex-employée en Chine de cette
organisation. La police est alors envoyée en repérage. Perquisitions et
interrogations se multiplient cette année-là. Puis, en décembre, une
première version du texte voit le jour. Au cours de la phase de
consultation, plusieurs ONG internationales sont invitées à se prononcer
par oral sur la copie qui, entre-temps, a provoqué un tollé
international. Certaines dispositions très contraignantes seront
finalement effacées, comme la nécessité de soumettre chaque nouvelle
embauche aux autorités, in fine retirée de la troisième version du
texte, approuvé en avril 2016 par le Parlement chinois.
Blanc-seing à la police
Mais l’essentiel reste en
place : chaque année, avant le 31 décembre, l’ONG devra par exemple
présenter un rapport détaillant ses activités pour l’année à venir. Avant le 31 mars,
elle devra également se plier à une «inspection
annuelle». Si la loi va permettre aux travailleurs associatifs de
nationalité étrangère d’obtenir des visas en bonne et due forme, levant ainsi
une grosse épine du pied aux ONG qui pourront s’enregistrer, elle donne aussi
un blanc-seing à la police, en gravant dans le marbre des pouvoirs dont elle
disposait déjà dans les faits : interrogation des employés, saisie de
documents dans les locaux, gel du compte bancaire lorsque l’ONG est «impliquée dans des activités illégales».
Le texte prévoit en outre une «liste
noire» bannissant à jamais les ONG qui ont «disséminé des rumeurs», «obtenu illégalement des secrets d’Etat»
ou commis «tout autre acte
mettant en danger la sécurité nationale». Des termes malléables,
déjà utilisés pour mettre au silence les dissidents chinois. En revanche, «ce qui va changer très concrètement,
reprend la directrice citée plus haut, c’est que désormais les autorités vont pouvoir valider, ou pas, chacun
de nos projets, sans que l’on sache comment ces décisions seront prises […]. Le
gouvernement va être en mesure de dire "non". Ça change la donne.» A
tel point qu’elle aussi se prépare à quitter la Chine le mois prochain
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