L'homme
d'affaires Thanathorn Juangroongruangkit et le juriste Piyabutr Saengkannokul
ont fondé un nouveau parti politique pour «rendre l'espoir» à leur pays, dirigé
par un régime militaire depuis 2014.
Ils sont jeunes, avec un haut niveau d’éducation, et ils
veulent secouer le cocotier. En prenant garde toutefois qu’une noix de coco ne
leur tombe pas sur la tête. Artistes, écrivains, militants pour les droits de
l’homme, juristes progressistes, militants LGBT, entre 20 et 40 ans, ont fondé
un nouveau politique en Thaïlande avec pour ambition de «rendre l’espoir»aux
Thaïlandais et de «transformer
le paysage politique».
A la tête de ce parti, baptisé «Nouvel
avenir», un homme d’affaires richissime, Thanathorn Juangroongruangkit, âgé de
39 ans, héritier d’une des plus grosses firmes du pays, impliquée dans le
secteur automobile.
Assis dans une vaste salle meublée simplement de
quelques tables – les futurs locaux du parti –, Thanatorn, manches de
chemise relevées et sourire charmeur, est enthousiaste, même si les obstacles
sont impressionnants. «Cette dernière année, nous avons beaucoup discuté de l’état de
désespoir dans laquelle se trouvait la société thaïlandaise. Nous ne sommes
dits qu’il fallait que quelqu’un se dresse pour proposer quelque chose de
différent», dit-il.
«Dictature molle»
Depuis mai 2014, la Thaïlande est dirigée par un régime
militaire qui a renversé un gouvernement élu lors d’un coup d’Etat. Les
libertés publiques ont été sévèrement limitées par une sorte de «dictature
molle», qui réprime tout en étant consciente qu’il ne faut pas dépasser une
certaine limite si elle veut améliorer ses relations avec les pays occidentaux,
dont les investissements sont vitaux pour son économie. Des élections sont en
principe prévues pour février 2019, mais la nouvelle Constitution est
écrite pour permettre aux généraux de continuer à contrôler le pouvoir
directement ou indirectement. Tout indique d’ailleurs que l’actuel chef de la
junte, le général Prayuth Chan-ocha, souhaite continuer à diriger le pays après
les élections.
Dans ce contexte étouffant, la création en mars de
Nouvel avenir a été une bouffée d’air frais. «On s’est dit : c’est un
moment historique pour rendre l’espoir aux gens. Le général Prayuth a saisi le
pouvoir comme Napoléon III, à cause du sentiment de fatigue de la population
après des années de conflits politiques. Notre objectif est de redonner
confiance à la population et de leur montrer que la politique n’est pas que
pour les technocrates», dit Piyabutr Saengkannokul, un
juriste francophone qui a cofondé le parti avec Thanathorn.
Deux partis en un
Thanathorn dit que son parti se situe «clairement à gauche» sur
l’échiquier politique et que l’ensemble des membres participeront au processus
de décision. Le paysage politique thaïlandais est dominé par deux grands
partis : le parti démocrate, fondé en 1946, et le parti «Pour les
Thaïlandais» créé par le clan politique de l’ancien Premier ministre Thaksin
Shinawatra. Aucun d’entre eux n’a une idéologie vraiment claire, même si le
premier représente plutôt les intérêts de l’élite conservatrice et le second
s’est fait l’avocat des habitants des provinces rurales et des classes
défavorisées.
Dans un pays où le système politique est dominé par le
clientélisme et où il est impossible de percer sans de solides réseaux dans les
provinces, les défis sont considérables pour le parti de Thanathorn et de
Piyabutr. «Dans
l’immédiat, nous voulons nous concentrer sur la consolidation de notre
identité, de notre idéologie basée sur les droits de l’homme, la démocratie,
une croissance économique juste et le rejet du rôle des militaires en
politique. Nous établirons des réseaux en provinces dans un second temps»,
explique Thanathorn.
«Stagiaires»
Autre axe clé du nouveau parti : la
décentralisation. Amorcée en Thaïlande à la fin des années 90, elle s’est
figée depuis après plusieurs coups d’Etat qui ont bénéficié au renforcement du
pouvoir de l’imposante bureaucratie thaïlandaise. «Le système bureaucratique est
très enraciné en Thaïlande. Les bureaucrates locaux ne rapportent qu’au
gouvernement central, pas aux assemblées locales élues. Nous devons changer
cela», dit Thanathorn.
Certains politiciens établis ont raillé les jeunes
leaders de Nouvel avenir en les qualifiant «d’amateurs» ou
de «stagiaires».
Une réaction typique dans un pays fondamentalement conservateur où la séniorité
est une valeur centrale. Mais Thanathorn et ses compagnons de route disent
s’engager sur le long terme. «Même si nous n’obtenons qu’une vingtaine de siège lors des prochaines
élections, ce n’est pas grave. J’ai vu en Europe comment les partis alternatifs
ont transformé le paysage politique. La France insoumise n’a que
17 sièges, mais ils sont très actifs», estime
Piyabutr.
Arnaud Dubus correspondant à Bangkok
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