Emmanuel Macron devant le Congrès américain, mercredi à Washington. Photo Mandel Ngan. AFP |
Devant le Sénat et la Chambre des
représentants, le Président a livré un discours fleuve, alternant les odes à
l'amitié franco-américaine et les sujets plus clivants.
Après
deux jours de cérémonies, de dîners et d’entretiens avec l’exécutif, c’est au
pouvoir législatif américain qu’Emmanuel Macron est venu présenter ses
hommages, au dernier jour de sa visite d’Etat à Washington DC. «J’ai hâte de
regarder le président français Emmanuel Macron s’exprimer devant le Congrès
aujourd’hui, a tweeté Donald Trump un
peu avant. C’est un grand honneur rarement permis… Il va être EXCELLENT !»
La dernière fois qu’un chef d’Etat étranger s’était frotté à
l’exercice, c’était le Premier ministre indien Narendra Modi, en
juin 2016.
Protocole
oblige, c’est le speaker de la Chambre des représentants, Paul Ryan, qui a
accueilli Emmanuel Macron ce mercredi matin à son arrivée au Capitole. Le
républicain du Wisconsin, qui préside la Chambre basse depuis 2015 et n’a pas
toujours été en odeur de sainteté auprès de Donald Trump, a annoncé mi-avril
qu’il ne se représentera pas aux élections de mi-mandat, en novembre. Un coup
dur pour le camp républicain, qui perd une figure à peu près consensuelle pour
toutes les tendances du GOP, des centristes aux ultra-conservateurs.
Macron
s’est ensuite adressé en anglais et pendant plus de quarante-cinq minutes
– deux fois plus longtemps que prévu – aux deux chambres du Congrès
américain, Sénat et Chambre des représentants. Avec son dôme et ses deux ailes,
le bâtiment blanc, néoclassique et colossal domine la capitale fédérale
américaine. A son arrivée sur la moquette bleue du «floor», dans ce symbole de
la démocratie américaine, le président français a été longuement applaudi par
les parlementaires américains. Exercice obligé, il a entamé son discours par
une ode à l’amitié franco-américaine et aux liens historiques qui unissent les
deux pays : «Nos deux nations sont enracinées dans la même terre,
fondées sur les mêmes idéaux des révolutions américaine et française. Nous
avons travaillé ensemble pour les mêmes idées universelles de liberté, de
tolérance et d’égalité des droits.» Il a également fait référence aux guerres passées et
présentes où les deux peuples ont combattu «épaules
contre épaules», et à la lutte contre le terrorisme.
Dans ce
discours qui n’avait pas été distribué à l’avance, ni aux parlementaires ni aux
journalistes, Emmanuel Macron s’est autorisé un étonnant parallèle entre ses
marques d’affections, largement commentées par la presse américaine, avec le
président américain Donald Trump, et la rencontre, en 1778 à Paris, entre
Voltaire et Benjamin Franklin. «John Adams a raconté qu’après
s’être serré la main, ils se sont pris dans les bras et se sont embrassés sur
la joue. Ça peut vous rappeler quelque chose», a-t-il lancé, provoquant
les rires de l’assemblée.
«Bonnes réponses» et «inquiétudes
légitimes»
Dans sa
longue allocution ponctuée de l’anaphore «I
believe» (je
crois), le président français a également abordé les sujets plus clivants qui
l’opposent à la présente administration américaine. Sur ces points, il a été
beaucoup plus applaudi par les parlementaires démocrates que par leurs
collègues républicains. Face au repli sur soi et à l’isolationnisme de Trump,
Macron a réitéré, comme à la tribune de l’ONU en septembre, sa défense du
multilatéralisme : «Nous pouvons bâtir le nouvel ordre
mondial du XXIe siècle en le fondant sur une
nouvelle espèce de multilatéralisme, plus responsable et plus efficace. Cela
requiert plus que jamais l’engagement des Etats-Unis, puisque votre rôle a été
décisif pour créer et conserver le monde libre tel qu’on le connaît
aujourd’hui. Ce sont les Etats-Unis qui ont inventé cette théorie. Vous êtes
ceux qui, aujourd’hui, doivent aider à la préserver et à la réinventer.»
Face à
l'«America First» de Donald Trump et son rétablissement des barrières
douanières, Emmanuel Macron a prévenu des dangers d’une «guerre
commerciale», «incohérente
avec notre mission, notre histoire, et notre engagement pour la sécurité
mondiale. Au bout du compte, cela détruira des emplois, fera augmenter les
prix, et ce sera la classe moyenne qui devra en payer les conséquences.» Répondant à
l’obsession de Trump sur le déficit commercial américain, le président français
a assuré que les pays pouvaient «apporter les bonnes réponses aux
inquiétudes légitimes sur les déséquilibres commerciaux en négociant dans le
cadre de l’Organisation mondiale du commerce. Nous avons écrit ces règles. Nous
devrions les suivre.»
«Prendre
ses responsabilités»
Il a
également rappelé son attachement, en paroles en tout cas, à la lutte contre le
changement climatique et à l’accord de Paris sur le climat, dont sont sortis
les Etats-Unis à la demande de Donald Trump. «En
polluant les océans, en n’atténuant pas nos émissions de CO2, en détruisant la
biodiversité, nous sommes en train de tuer notre planète. Nous devons y faire
face : il n’y a pas de planète B. Sur cette question, nous avons des
désaccords avec les Etats-Unis. Ça peut arriver, comme dans toutes les
familles»,
a-t-il justifié, assurant sa conviction «qu’un jour, les Etats-Unis
reviendront dans l’accord de Paris».
Mais
c’est sans doute sur l’accord nucléaire iranien qu’Emmanuel Macron a été le
plus bavard. Répétant la proposition faite mardi, à la veille de ce discours, à
Donald Trump. Alors que tout indique que ce dernier veut «déchirer» l’accord signé
en 2015 entre les grandes puissances et l’Iran (levée des sanctions en
échange de l’arrêt de son programme nucléaire), Macron a exposé un cadre plus
large – pour l’instant encore très flou – de discussions, incluant
l’après-2025, la question syrienne et les méthodes pour contrer l’influence
iranienne dans la région.
«Nous ne devons pas abandonner [l’accord iranien] sans avoir
quelque chose de conséquent pour le remplacer. C’est ma position. C’est pour
cela que la France ne quittera pas l’accord sur le nucléaire iranien, nous
l’avons signé. Votre président et votre pays devront prendre leurs
reponsabilités sur cette question dans les semaines à venir.» Les Etats-Unis
doivent en effet donner leur décision le 12 mai.
Jamais
avare de références au général de Gaulle, Emmanuel Macron n’a pas manqué de
souligner qu’il s’exprimait 58 ans jour pour jour après le discours du
premier devant la session plénière du Congrès américain. Tous les présidents de
la Ve République, à
l’exception de François Hollande, se sont pliés à l’exercice. Et notamment
Valéry Giscard d’Estaing qui, en mai 1976, avait délivré un discours
entièrement en anglais qui fut qualifié le lendemain, par le Washington
Post,
de «compréhensible, malgré l’accent». Emmanuel Macron s’en
tirera probablement avec une évaluation correcte, malgré une légère confusion
dans les retranscriptions des médias américains : ils ont compris «military» (armée), quand le
Président parlait de «multilatéralisme».
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