INTERNATIONAL - La première tournée du président Trump en
Asie est forcément un événement, surtout quand on connaît sa propension à la
boulette diplomatique. Après avoir quitté les Etats-Unis le 3 novembre et avoir
visité le Japon et la Corée
du Sud, il est attendu
en Chine mercredi 8 novembre par le président Xi Jinping.
Pékin s'apprête à l'accueillir en très grande pompe, et à
lui offrir plus de cérémonial que d'ordinaire. Garde militaire d'honneur,
banquet officiel et des milliards de dollars d'accords commerciaux, la Chine
veut en imposer.
Un protocole très élaboré qui arrive dans un contexte de
tensions sur toute une série de sujets, du vaste déficit commercial américain à
la gestion par Pékin de la Corée du Nord, son imprévisible voisin.
"C'est un homme puissant", a dit Donald Trump
récemment du président chinois. "Il se trouve que je pense que c'est un
type très bien", a-t-il ajouté. Pour David Dollar, spécialiste de la Chine
à Brookings, il est peu vraisemblable malgré le tapis rouge déroulé que Pékin
fasse beaucoup de concessions.
Et pour cause. La Chine voit bien au-delà du déficit
commercial américain. Xi Jinping est surtout connu depuis plusieurs années pour
son plan à long terme qui vise à remettre en cause l'hégémonie américaine,
économique et militaire, au moins en Asie.
Voici comment.
La réouverture des routes de la soie
La route de la soie désigne les anciens itinéraires de
commerce entre l'Asie et l'Europe. Par voie de terre et de mer, ces routes
auraient été pratiquées dès 2000 avant notre ère, avant d'être progressivement
désertées à partir du XVe siècle, puis définitivement après l'ouverture du
canal de Suez (1867).
Le grand projet de Xi Jinping est tout simplement de les
ressusciter. Le 21 avril 2016, un premier convoi ferré a ainsi rallié Wuhan à
Lyon en 15 jours, après un périple de 11.000 kilomètres. Le
23 février, Bernard Cazeneuve, alors Premier ministre de passage en Chine,
a assisté à l'arrivée en sens inverse d'un train chargé de bouteilles de
Bordeaux et de pièces détachées en provenance des usines PSA.
La Chine a aussi l'intention de financer la construction
d'un chapelet de ports, ces anciens comptoirs, qui rallient l'Europe en passant
par l'océan indien et la mer méditerranée. Ce n'est pas un hasard si la Chine a
racheté le port du Pirée, à Athènes, en janvier 2016. Le groupe Cosco s'est
engagé à investir 350 millions d'euros dans ce qui sera son terminus européen.
"Ce qui est nouveau, c'est que le sens des routes de
la soie s'est inversé", analyse Jean-François Di Meglio, président du
think tank Asia Centre, interrogé par Europe1. "La première route de la soie marchait
avant tout dans l'intérêt de l'Occident. Cette fois, c'est la Chine qui prend
l'initiative et compte en profiter."
Mi mai, lors du sommet à Pékin sur "Obor" (One
belt, one road), Xi Jinping a rassemblé un "G20 réapproprié", selon
les termes de Jean-François Di Meglio, présent pour l'occasion. Vladimir
Poutine, Recep Erdogan pour la Turquie, Alexis Tsipras pour la Grèce ou encore
la présidente du FMI et le secrétaire général de l'ONU.
En revanche, les Etats-Unis ont décliné l'invitation, tout
comme les dirigeants européens du G7, à l'exception de l'italien Paolo
Gentiloni. Comme un boycott de la concurrence?
La nouvelle banque chinoise qui bouscule le
FMI
C'est le bras armé financier de la nouvelle route de la
soie. Face au monopole des Etats-Unis sur les grandes institutions financières
internationales que sont le FMI et la Banque mondiale, la Chine a lancé en 2015
la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures (BAII).
Comme pour le FMI, elle compte de nombreux pays
actionnaires, 57 au total pour le lancement en 2015. Malgré les réticences et
les mises en garde des Etats-Unis, la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, ou
l'Italie en font partie, tandis que les Etats-Unis, et le Japon et l'Inde, les
deux grands rivaux régionaux, ont décliné l'offre.
Normal, son but est justement de s'affranchir de la
tutelle américaine pour décider du financement de grands projets
d'infrastructure. Au Pakistan, ce sont des dizaines de milliards de dollars qui
financent un
véritable "plan Marschall" pour créer une route des cols de
l'Himalaya au port de Gwadar.
En Ethiopie, le port de Djibouti s'est aussi mis au
chinois sous l'impulsion de grands travaux, tandis qu'une ligne de chemin de
fer a été construite pour le relier à la capitale Addis-Abeba. En tout, des
dizaines de ports doivent être développés et des milliers de kilomètres de
voies ferrées construits.
Imposer le yuan en Asie à la place du
dollar
Cela peut sembler très technique, le sujet est pourtant
crucial à long terme. La Chine a pour ambition d'imposer la yuan comme monnaie
de référence, et, surtout, comme monnaie de change sur les marchés
internationaux à la place du dollar.
Kézako? Aujourd'hui, l'écrasante majorité du commerce
international est facturé en dollar, y compris celui de la dette publique.
Demain, la Chine rêve que le yuan occupe le même rôle. "Elle se dit que
comme premier exportateur mondial, elle pourrait se délivrer des risques de
change avec le dollar, éviter la dépendance à l'économie américaine",
analyse Philippe Crevel, président du Cercle de l'épargne.
Il en va ni plus ni moins de la stabilité économique de
l'Asie. En 1998, c'est la remontée des taux d'intérêts américains par la Fed
qui est à l'origine de la crise
asiatique. Le changement des taux a provoqué une dépréciation des monnaies
asiatiques, plongeant dans le rouge certains pays dont la dette devait être
remboursée en dollars.
Accessoirement, l'influence de la Chine sur ces pays
serait grandement accrue...
07/11/2017 16:08 CET |
Jean-Baptiste
Duval Jean-Baptiste Duval
est chef de rubrique Economie et Technologie au HuffingtonPost.
est chef de rubrique Economie et Technologie au HuffingtonPost.
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