our Pierre Terzian, expert en questions pétrolières, «chacun pensait se servir de Daech contre ses ennemis». |
En accusant la Turquie d’avoir abattu le Soukhoï
russe pour protéger la contrebande de pétrole avec Daech, Vladimir
Poutine a dévoilé le trafic multiforme auquel se livre l’Organisation de
l’Etat islamique pour remplir ses caisses. Y compris avec le régime de
Bachar al-Assad, le protégé de Moscou. Pierre Terzian, directeur de la
publication spécialisée «Pétrostratégies», explique le phénomène.
Concernant l’or noir de Daech, les derniers chiffres russes parlent de 2 milliards de dollars de bénéfice par an pour le budget de l’organisation. Quelle est la réalité?
Pour dire les choses de manière sensée, il faudrait parler en revenus
journaliers ou mensuels. Il n’y a jamais eu de revenu annuel stable en
raison de la variation des volumes et des prix.
Il faut distinguer trois grandes phases dans l’utilisation des revenus pétroliers par Daech :
La première, la phase haute, on peut même dire paroxystique, c’est au
moment de la guerre éclair qui a mené les combattants aux portes du
Kurdistan. Ils ont mis la main sur une vingtaine de gisements qui
produisaient déjà. Beaucoup d’ingénieurs et de travailleurs dans le
secteur sont restés sur place. Ils ont pu également faire main-basse sur
8 à 10.000 camions citernes énormes appartenant à des sociétés privées
et datant de l’époque de Saddam Hussein.
Ils servaient déjà à une contrebande, au moment de l’accord «pétrole
contre nourriture», officieuse avec la Jordanie, et jamais officialisée
avec la Turquie.
Daech a ainsi hérité de tout un système en fonctionnement : gisements, employés, camions citernes, routes et destinataires.
A ce moment, la production était de 80 à 90.000 barils/jour et le prix
du baril élevé, il se montait à 100 dollars. En le vendant à moitié
prix, l’EI en tirait 4 millions de dollars par jour.
La seconde phase se situe à l’été 2015. Les gisements, petits et
anciens, avaient besoin d’entretien et de rénovation. Des employés ont
pris la fuite. Les volumes produits ont diminué de moitié, et les prix
aussi. A 40 dollars le baril, vendu à moitié prix, Daech ne faisait plus
que 800.000 dollars par jour.
La troisième phase commence début novembre 2015. Les bombardements
américains et russes contre les installations pétrolières – gisements,
stations de pompages et citernes – ont fait fuir les chauffeurs de
camions et fait chuter la production évaluée désormais à 10.000
barils/jour. Le prix que Daech en tire n’a plus de sens, il sert aux
seuls besoins de la guerre.
Peut-on en conclure que les bombardements de la coalition internationale servent à quelque chose?
Pour moi, la bonne question serait : pourquoi n’ont-ils pas bombardé
jusqu’à maintenant ? C'est parce que, au mieux ça les arrangeait, au
pire ça ne les dérangeait pas. Daech est né d’un concours de conneries.
Chacun pensait pouvoir s’en servir contre ses ennemis : les Turcs contre
les Kurdes et contre Bachar, Bachar pour dire qu’il y a pire que lui,
les Américains contre Bachar et ainsi de suite.
Les Russes dénoncent aujourd’hui la collusion de la Turquie avec Daech à
cause de l’avion abattu, les Américains et leurs alliés n’en parlent
pas parce qu’ils ont besoin de la Turquie. Voilà des semaines que le
Secrétaire d’Etat américain, John Kerry, essaye de convaincre Ankara de
fermer sa frontière avec la Syrie, et la frontière est toujours ouverte.
La collusion entre Daech et la Turquie est avérée sur la question du pétrole?
Lorsque Daech est entré à Mossoul, en juin 2014, on a découvert 48
heures après que le consulat turc, son personnel et ses familles étaient
toujours en place. Soixante douze chauffeurs de camion citerne
connaissant les itinéraires de livraison du pétrole sont restés
également. Ils n’avaient pas peur.
Autre preuve, le journal Cumhurriet a révélé il y a quelques
mois que des douaniers avaient arrêté un convoi de munitions turques à
destination de combattants en la Syrie. Un procureur a engagé un début
de procès aux convoyeurs. Et on découvre qu’il s’agit d’agents des
services de renseignements turcs. Résultat : le procureur, les douaniers
et les deux journalistes sont aujourd’hui en prison.
Le pétrole de Deir ez-Zor en Syrie est-il important au point que Daech puisse en tirer profit?
De petites quantités de pétrole peuvent passer en contrebande pour des
particuliers, mais le régime de Bachar al-Assad n’a pas besoin du
pétrole de Daech. Il a des raffineries à Tartous et Banias et il reçoit
du pétrole par bateau.
En revanche, il y a un accord entre Daech et Damas sur le gaz. Les
gisements gaziers de la région de Deir ez-Zor permettent de faire
fonctionner des centrales électriques. Daech laisse passer le gaz vers
les centrales contrôlées par le régime et ce dernier fournit en retour
Daech en courant électrique.
Alain Chemali
le 03/12/2015 à 15H01
le 03/12/2015 à 15H01
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