Des
policiers sont déployés dans le quartier de Musaga où se déroulent
de nouvelles
manifestations contre un troisième mandat du président,
le 20 mai 2015 à
Bujumbura
afp.com - CARL DE SOUZA |
Au moins une personne a été tuée par les tirs de la police
jeudi à Bujumbura, où les manifestations contre un troisième mandat du
président Pierre Nkurunziza ont repris de plus belle malgré la riposte musclée
des policiers.
Dans le quartier de Musaga (sud), un des bastions de la
contestation, la police a poursuivi ses opérations de "restauration de
l'ordre" lancées la veille. Des tirs sporadiques ont été entendus toute la
nuit et ont repris un rythme soutenu dans la matinée, alors que des
manifestants tentaient de se regrouper dans les ruelles et harcelaient les
forces de l'ordre à coups de pierres.
Les policiers ripostaient avec leurs kalachnikov, tirant
au jugé et parfois à hauteur d'homme. Un manifestant a été mortellement touché
au dos, selon des témoins.
Plus d'une vingtaine de personnes ont été tuées depuis le
début fin avril des manifestations contre une candidature du président
Nkurunziza à un troisième mandat à l'élection présidentielle du 26 juin. Ce
mouvement, qui touche essentiellement la capitale Bujumbura, a été sévèrement
réprimé par la police.
Le pays est depuis lors plongé dans une grave crise
politique, avec un coup d'Etat manqué la semaine dernière, et des élections
générales censées débuter le 5 juin, qui ont déjà été reportées d'une semaine
sous la pression internationale.
Comme quasi-quotidiennement maintenant depuis 25 jours,
les manifestations ont repris de plus belle jeudi dans plusieurs quartiers de
la capitale, jusqu'au centre-ville, où des dizaines de femmes sont parvenues
brièvement à se regrouper.
Arrivées discrètement, ces femmes se sont rassemblées sur
la place de l'Indépendance, petite victoire symbolique et objectif sans cesse
proclamé par les figures du mouvement anti-troisième mandat.
La police est rapidement intervenue pour les disperser à
coup de grenades lacrymogènes, verrouillant les accès à la place, chassant manu
militari les badauds et ordonnant la fermeture des magasins.
"C'est notre droit de manifester notre opposition à
un troisième mandat de Nkurunziza, et nous allons continuer à le crier haut et
fort malgré cette police au service du pouvoir", a lancé l'une des
protestataires, Sandrine, âgée d'une vingtaine d'années. Le calme est néanmoins
revenu peu après.
- Militaires en fuite -
A Ngagara, des affrontements ont éclaté avec un groupe
d'une centaine de contestataires près de l'Assemblée nationale, qui devait se
réunir ce jour en session extraordinaire pour la prestation de serment de trois
nouveaux ministres.
Les policiers, déployés en nombre autour du bâtiment, ont
ouvert le feu au-dessus des protestataires qui se réfugiaient dans des rues
voisines et tentaient de mettre le feu à des barricades de fortune. Au moins
deux manifestants ont été blessés par balle, dont l'un a été grièvement touché
à la tête, selon des sources médicales.
Des tirs ont été un moment audibles en direction de cette
zone, tandis que des panaches de fumée noire s'élevaient de plusieurs quartiers
environnant. Sortant de l'Assemblée, le convoi présidentiel, mitrailleuse en
tête, est passé à proximité peu après, comme si de rien n'était.Mercredi, le président Nkurunziza avait assuré que
"la paix et la sécurité règnent sur 99,9% du territoire burundais",
jugeant que le mouvement "d'insurrection" actuel n'était
"signalé que dans quatre quartiers" de Bujumbura uniquement.
Secouée par le coup d'Etat manqué, l'armée a appelé ses
troupes à la "cohésion", condition de la "survie du Burundi en
tant que nation". Le nouveau ministre de la Défense et le chef
d'état-major, fidèle parmi les fidèles du chef de l'Etat ont recommandé "de
ne pas s'ingérer dans la gestion des affaires politiques, et d'éviter toute
forme de violence (...)".
"Certains militaires ont été roulés (par les
putschistes) sans savoir où ils allaient et se cachent jusqu'à l'heure
actuelle", ont-ils reconnu, les appelant à "regagner leurs
unités".
Depuis le début de la contestation contre un troisième
mandat présidentiel, l'armée est jugée plus neutre que la police, accusée
d'être aux ordres du parti au pouvoir.
Après la sanglante guerre civile qui a opposé la minorité
tutsi et la majorité hutu (1993-2006), l'armée était parvenue, au terme des
accords de paix d'Arusha, à incarner la réconciliation et l'unité retrouvée du
pays. Mais elle se retrouve aujourd'hui traversée par de fortes tensions,
notamment autour de la gestion du maintien de l'ordre des manifestations.
Le Conseil national de la communication (CNC) a par
ailleurs demandé aux journalistes internationaux, convoqués pour l'occasion, de
"bien travailler sur le terrain". "Certains d'entre vous
affichent un comportement peu professionnel", a accusé son président
Richard Gihamahoro. "Beaucoup de journalistes sont venus couvrir le
processus électoral en cours mais on constate" que leur couverture de ce
processus "est très minime", a-t-il estimé, déplorant la trop grande
attention médiatique accordée aux manifestations et aux violences.
Après la fermeture de plusieurs radios, il n'existe
quasiment plus de médias privés aujourd'hui au Burundi, et seule la presse
internationale y travaille de manière indépendante.
21 MAI 2015
Mise à jour 21.05.2015 à 16:00
Par Aymeric VINCENOT, Esdras NDIKUMANA
AFP © 2015 AFP