Dans un rapport publié lundi, la FIDH et la LDH, entre
autres, accusent la France et huit entreprises françaises de participer à la
répression en Egypte.
Des organisations de défense des droits de l’homme ont appelé,
lundi 2 juillet, à l’ouverture d’une enquête parlementaire sur les ventes
d’armes, de machines et de systèmes de surveillance de la France vers l’Egypte,
où se multiplient les violations des droits humains depuis 2013.
Dans leur nouveau rapport
« Egypte : une répression made in France », la Fédération
internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), le Cairo Institute for
Human rights studies (CIHRS), la Ligue des droits de l’homme (LDH) et
l’Observatoire des armements (OBSARM) estiment en effet que « l’Etat français et plusieurs entreprises
françaises ont participé à la sanglante répression égyptienne des cinq
dernières années ».
Depuis le coup d’Etat contre le président islamiste,
Mohamed Morsi, en juillet 2013, et l’accession au pouvoir de
l’homme fort de l’armée, le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi – reconduit pour un
second mandat présidentiel en mars –, une répression sévère s’abat contre toute
forme d’opposition et de dissidence en Egypte, des sympathisants de la
confrérie des Frères musulmans aux anciens révolutionnaires de 2011 et membres
de la société civile, sous couvert de lutte antiterroriste.
L’élargissement des pouvoirs des forces armées par le
vote d’un arsenal législatif a donné lieu à la remise en cause des libertés
d’association, d’expression et de manifestation, ainsi que du droit d’accès à
l’information et à la vie privée.
La répression justifiée par « la
guerre contre le terrorisme »
Selon l’ONG Arabic Network for Human Rights
Information, au moins 60 000 prisonniers politiques ont été incarcérés depuis
2013. La Commission égyptienne pour les droits et les libertés a recensé plus
de 2 800 disparitions forcées entre juillet 2013 et juin 2016, et au moins 44
cas de morts sous la torture entre août 2013 et décembre 2016. Le ministère de
l’intérieur égyptien a lui-même annoncé 12 000 arrestations pour des charges
liées au terrorisme dans les dix premiers mois de l’année 2015.
Le Caire justifie cette répression par « la guerre contre le terrorisme ».
Confrontée à une insurrection armée dans la péninsule du Sinaï, l’Egypte est
également menacée par le chaos qui règne depuis 2011 dans la Libye voisine.
Cet argumentaire est repris à son compte par Paris
pour justifier le
renforcement spectaculaire de la coopération militaire et sécuritaire avec
l’Egypte, observé depuis 2014 et l’arrivée au pouvoir du président Sissi. Selon
des rapports parlementaires, les livraisons d’armes françaises à l’Egypte sont
passées de 39,6 millions d’euros en 2010 à 1,3 milliard d’euros en 2016. Depuis
2015, ce sont ainsi 6 milliards d’euros de contrats d’armement qui ont été
signés, notamment pour la vente de deux porte-hélicoptères Mistral, de missiles
et de 24 avions Rafale.
Paris a aussi livré au Caire des logiciels et le
matériel informatique permettant «
la mise en place d’une architecture de surveillance et de contrôle orwellienne,
utilisée pour briser toute
velléité de dissidence et de mobilisation ». Le rapport cite
notamment « des technologies
de surveillance individuelle, d’interception de masse, de collecte des données
individuelles et de contrôle des foules (…) qui ont conduit à l’arrestation de
dizaines de milliers d’opposants ou de militants ».
« Si la
révolution égyptienne de 2011 avait été portée par une génération Facebook
ultraconnectée ayant su mobiliser les
foules, la France participe aujourd’hui à l’écrasement de cette génération via
la mise en place d’un système de surveillance et de contrôle visant à écraser dans
l’œuf toute expression de contestation », a accusé Bahey Eldin
Hassan, directeur du CIHRS.
« AU MOINS HUIT ENTREPRISES FRANÇAISES,
ENCOURAGÉES PAR LES GOUVERNEMENTS SUCCESSIFS, ONT AU CONTRAIRE PROFITÉ DE CETTE
RÉPRESSION POUR ENGRANGER DES
PROFITS RECORDS », DÉPLORENT LES ORGANISATIONS
Au lendemain de la répression meurtrière contre le
sit-in des partisans du président Morsi le 14 août 2013 à Rabiya Al-Adawiya,
qui a fait plus d’un millier de morts parmi les manifestants, selon Human
Rights Watch (HRW), les Etats membres du Conseil des affaires étrangères de
l’Union européenne avaient pourtant décidé, le 21 août 2013, de «suspendre les licences d’exportation vers
l’Egypte de tous les équipements qui pourraient être utilisés
à des fins de répression interne ». Or, déplorent ces
organisations, « au moins huit
entreprises françaises, encouragées par les gouvernements successifs, ont au
contraire profité de cette répression pour engranger des profits records ».
Les ONG dénoncent un manque de transparence dans la
façon dont la France contrôle ces exportations d’armes et d’équipements de
surveillance et réclament «
aux entreprises et aux autorités françaises la cessation immédiate de ces
exportations mortifères ». Paris a continué à autoriser la
livraison de véhicules blindés Renault Trucks Defense, alors même que des
défenseurs des droits de l’homme ont noté leur utilisation à Rabiya Al-Adawiya.
Les autorités françaises avaient également autorisé, quelques jours plus tard,
la livraison de machines-outils Manurhin à fabrication de cartouches.
Les entreprises françaises jouent par ailleurs un rôle
central dans la mise en place de l’architecture de surveillance numérique. En
2017, l’hebdomadaire Télérama et
des organisations de défense des droits de l’homme ont fait part de soupçons
quant à la livraison par la société française Nexa Technologies – ex-Amesys,
qui fait l’objet depuis six ans d’une information judiciaire pour une plainte
déposée par la FIDH et la LDH pour « complicité d’actes de torture en Libye » – d’équipements
de surveillance qui seraient utilisés par le gouvernement égyptien pour la
répression politique.
Le parquet de Paris a ouvert une enquête judiciaire
pour « complicité dans des actes de torture et des disparitions forcées », pour
laquelle les victimes sont aujourd’hui appelées à témoigner.
Les quatre organisations étudient aujourd’hui les opportunités de poursuivre d’autres
sociétés françaises.
LE MONDE | • Par Hélène Sallon
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