Donald Trump mardi à Washington. Photo Jim Watson. AFP |
Cette fois, il va falloir s’y faire : Donald Trump prend ses quartiers ce vendredi à la Maison Blanche. Sans s’être assagi, et avec une équipe au moins aussi inquiétante que lui.
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L’Amérique sans filet
La fête pour les uns, un cauchemar pour les autres.
Jamais, dans l’histoire moderne des Etats-Unis, l’investiture d’un nouveau
président n’avait à ce point divisé les Américains. Ce vendredi vers midi,
Donald J. Trump deviendra officiellement le 45e président de la première puissance mondiale, succédant à
Barack Obama. Dans la matinée, les deux hommes doivent d’abord se retrouver à
la Maison Blanche avant de prendre la route du Capitole en compagnie de leurs
épouses.
C'est là, sur les marches de la façade ouest du Congrès,
face au célèbre Mall, que le vice-président Mike Pence puis Donald Trump
prêteront serment sur la Bible. Le président sera investi par John Robert, le
chef de la Cour suprême, qui lui fera répéter le serment débutant par ces mots
: « I, Donald Trump, do solemnly swear.
» «Moi, Donald Trump, je jure solennellement
de remplir fidèlement les fonctions de président des États-Unis, et, dans toute
la mesure de mes moyens, de sauvegarder, protéger et défendre la Constitution
des États-Unis. Que Dieu me vienne en aide.»
Une fois investi, Donald Trump prononcera son adresse
inaugurale à la nation, un discours pour l’histoire souvent mis à profit par
les présidents pour marquer les esprits. Lors de sa seconde prestation de
serment, au lendemain d’une guerre civile dévastatrice pour les Etats-Unis,
Abraham Lincoln avait lancé un appel vibrant à la réconciliation : « Sans malice pour personne, pleins de charité pour tous […], travaillons
à finir notre ouvrage, à cicatriser les blessures de la nation. N’oublions pas
ceux qui ont affronté les batailles, et leurs veuves, et leurs orphelins.
» Dans un pays ravagé
par la Grande Dépression, Franklin Roosevelt avait prononcé cette phrase
souvent reprise, depuis, par les candidats en campagne : « La seule chose dont nous devons avoir peur, c’est la peur elle-même
.» Quant à John F.
Kennedy, il avait eu cette formule : « Ne demandez
pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez ce que vous pouvez faire
pour votre pays. »
D’après des sources au sein de son équipe, Trump a écrit seul son discours
inaugural. Une intervention qu’il aurait souhaitée «courte et percutante».
Homard du Maine
Dès la fin de la cérémonie, le futur ex-président Obama
devrait rejoindre la Maison Blanche, qu’il quittera définitivement vers 14h30
(20h30 en France) à bord d’un hélicoptère. Le couple Obama s’envolera ensuite
pour des vacances à Palm Springs (Californie). Pendant ce temps, Donald et
Melania Trump participeront au traditionnel déjeuner d’investiture au Congrès.
Rien de très original au menu : homard du Maine et crevettes du golfe du
Mexique à la sauce safran, bœuf de Virginie dans un jus chocolaté aux baies et
soufflé au chocolat accompagné de glace vanille. Outre les familles Trump et
Pence, les leaders du Congrès, les juges de la Cour suprême et les membres du
futur cabinet devraient participer au déjeuner. Le repas terminé, les couples
Trump et Pence retourneront à la Maison Blanche lors d'une parade
présidentielle le long de Pennsylvania Avenue, dont une partie s’effectue
habituellement à pied.
Si le déroulé de la cérémonie est connu, l’ambiance
demeure toutefois incertaine. Outre la pluie annoncée, qui pourrait décourager
les moins motivés, certains manifestants anti-Trump ont promis de tout faire
pour perturber l’investiture. Ils veulent notamment tenter de paralyser les
barrages de sécurité mis en place tout autour du Capitole, et par lesquels
doivent absolument passer tous les détenteurs d’un ticket permettant d’accéder
au site de la cérémonie. Militant antifasciste, Gregory Johnson refuse de
reconnaître la victoire de Trump. Mercredi soir, ce quinquagénaire est venu
manifester sur le McPherson Square, à quelques centaines de mètres de la Maison
Blanche. Il appelle à une révolution pour renverser le «régime» Trump, «totalement illégitime» et
composé de «suprémacistes blancs,
de xénophobes, de nationalistes et de misogynes». Il rêve du grand
soir : « Pour empêcher Trump et Pence d’exercer le
pouvoir, nous avons besoin de millions de personnes dans les rues, comme sur la
place Tahrir en Egypte. »
Ce jour-là, ils ne sont pourtant qu’une petite centaine, encadrés par les motos
et les 4 × 4 de la police de Washington.
Pub sur Facebook
A en croire les habitués, un calme inhabituel règne
d’ailleurs dans la capitale américaine depuis quelques jours. « Je m’attendais à avoir beaucoup de
boulot cette semaine, mais franchement il n’y a personne, se
lamente George, un chauffeur de taxi qui vit depuis quarante ans dans le
Maryland voisin et a vu passer tous les présidents depuis Reagan. Ça n’a rien à voir avec l’atmosphère de
l’investiture d’Obama, où on sentait déjà quelque chose d’électrique trois ou
quatre jours avant ». En janvier 2009, une foule record
de 2 millions de personnes avait envahi le Mall pour la prestation de
serment d’Obama. Cette année, en dépit de la passion suscitée par Donald Trump
au cours de sa campagne, nul ne sait combien de ses partisans - dont beaucoup
vivent loin de la capitale fédérale - feront le déplacement. Les autorités
disent attendre entre 800 000 et 900 000 personnes ce vendredi, une
estimation prudente et comparable au million venu assister à la seconde
prestation de serment d’Obama en 2013.
Visiblement inquiet d’une faible affluence, Trump a tenté
ces derniers jours de rameuter ses troupes, achetant notamment des espaces
publicitaires sur Facebook. «
Cette inauguration est notre
moment dans l’histoire américaine, et je veux que soyez avec moi le jour de
l’inauguration. Cela va être tellement excitant », promet le milliardaire dans
une vidéo publiée sur le réseau social. Fidèle à sa réputation de fabulateur,
Donald Trump a prédit une «affluence
incroyable, peut-être record». Un scénario peu probable pour un
président qui entre à la Maison Blanche avec une cote de popularité
historiquement basse : 40% d’opinions favorables contre 79% pour Obama
début 2009.
Dans le magasin de souvenirs de 15th Street, en face de la Maison Blanche, la
plupart des clients sont tout de même des pro-Trump, venus acheter tasses,
tee-shirts, magnets à l’effigie du milliardaire, ou des casquettes «Make America Great Again». A
l’entrée de la boutique, Jill, venue de Caroline du Nord pour la cérémonie,
pouffe de rire en écoutant le «Trump
pen», un stylo parlant qui débite les phrases chocs du milliardaire
: «Mexico paiera pour le mur»,
«Nos politiciens sont stupides», «Je serai le meilleur président pour l’emploi jamais créé par
Dieu ».
Elle repart finalement avec une écharpe Trump. Qu’attend-t-elle de lui ? «Je veux d’abord qu’il nettoie Washington
de toute cette corruption. Le peuple américain mérite mieux.» Elle
aimerait aussi que Hillary Clinton soit jetée en prison pour la gestion de ses
mails. La rhétorique belliqueuse de la campagne électorale, à laquelle Jill a
participé côté républicain, ne s’est pas dissipée. De chaque côté, le dédain
pour le camp adverse perdure. Pour Jill, les manifestants anti-Trump présents à
Washington ne sont ainsi que des mauvais perdants déterminés à gâcher la fête. «S’ils voulaient que Hillary gagne, ils
n’avaient qu’à se bouger les fesses et travailler des milliers d’heures, comme
je l’ai fait pour élire Donald Trump. Au lieu de ça, ils veulent venir ici,
harceler les gens et être violents. Tout ça parce qu’ils n’ont pas bougé leurs
fesses de fainéants», lance-t-elle, remontée.
Samedi, plus de 200 000 manifestants devraient
déferler sur Washington. Partie d’une idée lancée sur Facebook par une
retraitée hawaïenne, la Women’s March pourrait être une des mobilisations les
plus importantes de l’histoire américaine. Outre les droits des femmes, de
nombreuses causes seront représentées dans le cortège : défense des minorités,
des musulmans et des immigrés illégaux, lutte contre les inégalités, protection
de l’environnement. Au total, une trentaine d’associations ont reçu des
autorisations pour organiser des rassemblements et des marches avant, pendant
et après la prestation de serment de Donald Trump. Pour éviter de potentiels
affrontements entre pro et anti-Trump, quelque 28 000 membres des
forces de sécurité sont mobilisés et des kilomètres de barrières métalliques
ont été mises en place dans le centre de Washington.
Mêmes méthodes
Sa victoire acquise, certains espéraient que le candidat
Trump laisserait place à un président assagi. Mais après avoir mené une
campagne inclassable, mélange guère subtil de nationalisme, de promesse
d’autorité et de politique-spectacle, le milliardaire n’est pas rentré dans le
rang. Si la période de transition offre un aperçu de sa présidence, elle n’est pas
de nature à rassurer ses opposants.
En deux mois et demi, Trump a conservé les mêmes
méthodes : usage
intensif de Twitter pour attaquer ses détracteurs, déclarations
mensongères, hostilité affichée envers la presse, guerre ouverte avec les
services de renseignement. Il a stupéfait la communauté internationale par ses
déclarations approximatives, voire contradictoires, sur des dossiers diplomatiques
sensibles (conflit israélo-palestinien, sanctions contre la Russie, avenir de
l’Union européenne). Quant à son futur cabinet, Donald Trump l’a bâti à son
image. Blanc, masculin, riche, vieux. Et très inexpérimenté. Le grand saut dans
l’inconnu débute ce vendredi.
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