Le silence de la prix Nobel de la Paix birmane
Aung San Suu Kyi sur la crise des migrants musulmans rohingyas fuyant
son pays, par pragmatisme politicien selon des analystes, ébranle son
aura internationale.
La prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi dans le bidonville Than Phyu
Zayat à Mawlamyaing, en Birmanie, le 17 mai 2015 - Ye Aung Thu AFP |
Le silence de la prix Nobel de la Paix birmane Aung San Suu Kyi sur
la crise des migrants musulmans rohingyas fuyant son pays, par
pragmatisme politicien selon des analystes, ébranle son aura
internationale.
Alors que la Birmanie a été pointée du doigt dans
la crise des migrants en Asie du sud-est lors d'une réunion régionale
vendredi, l'opposante birmane reste muette.
Le dalaï lama, entre autres personnalités, l'ont pourtant appelée à sortir de sa réserve.
«J'espère
qu'Aung San Suu Kyi, en tant que prix Nobel, pourra faire quelque
chose», a lancé le dalaï lama dans une interview à un journal australien
cette semaine.
«Nous avons la responsabilité de faire en sorte
que les souffrances des Rohingyas ne soient pas passées sous silence»,
avait déclaré de son côté mardi l'archevêque et prix Nobel sud-africain
Desmond Tutu dans une vidéo diffusée à Oslo lors d'une conférence
consacrée aux Rohingyas.
L'opinion publique internationale s'est
émue ces dernières semaines du drame de la minorité apatride des
Rohingyas, estimée à 1,3 million de personnes en Birmanie, qui n'a accès
ni aux écoles, ni aux hôpitaux, ni au marché du travail.
Le
problème n'est pas récent, mais l'abandon en mer de milliers de boat
people rohingyas par leurs passeurs, paniqués par une désorganisation
des voies de transit par la Thaïlande voisine depuis début mai, a fait
la Une des journaux.
Le dalaï lama rappelle avoir déjà «mentionné
ce problème» avec Aung San Suu Kyi par le passé, se voyant opposer que
«les choses» sont «compliquées». «Mais en dépit de tout ça, je crois
qu'elle peut faire quelque chose», insiste-t-il.
Depuis le début
de la crise, Aung San Suu Kyi continue à participer aux sessions
parlementaires à Naypyidaw, la capitale administrative birmane. Le 19
mai, elle a seulement répondu à des journalistes parlementaires: «Le
gouvernement doit résoudre ce problème».
«Aung San Suu Kyi est une
déception», critique Phil Robertson, représentant de l'ONG Human Rights
Watch en Asie, s'interrogeant sur ce qui reste aujourd'hui de la femme
qui reçut le Prix Nobel de la paix en 1991.
A l'époque, Aung San
Suu Kyi avait un statut d'icône de la démocratie, ayant fait le
sacrifice de sa vie privée, ayant passé plus de quinze ans en résidence
surveillée, de 1989 à 1995, puis de 2000 à 2010.
Des années qui
l'ont tenue éloignée de deux fils, élevés en Grande-Bretagne par leur
père, mort depuis d'un cancer, sans avoir revu sa femme.
Mais en
2011 tout change. Après l'autodissolution de la junte, Aung San Suu Kyi,
devenue députée, a peu à peu policé son discours.
Et l'opinion
internationale n'est pas sa priorité actuelle, à l'approche de
législatives de novembre, auxquelles son parti, la Ligue nationale pour
la démocratie, est donné grand gagnant.
- «Aucun intérêt» à s'exprimer -
La
communauté internationale «espère qu'Aung San Suu Kyi s'exprimera plus
sur les droits des Rohingyas», confirme à l'AFP un diplomate occidental
en poste à Rangoun. Mais «elle ne voit aucun intérêt pour elle-même ou
pour son parti à s'exprimer sur un dossier de politique intérieure si
sensible et complexe», ajoute-t-il.
Selon certains analystes, elle
est prise au piège de son obsession de ménager une opinion publique
birmane marquée par un puissant nationalisme bouddhiste antimusulman.
Des émeutes interreligieuses en 2012 en Etat Rakhine, région où vit la
majorité des Rohingyas, ont fait plus de 120 morts.
«S'exprimer n'est pas une option pour elle pour l'heure», analyse Maël Raynaud, spécialiste de la politique birmane.
Une
prise de défense ouverte des Rohingyas «serait probablement le seul cas
de figure qui lui ferait risquer de perdre les élections»,
analyse-t-il.
Aung San Suu Kyi est confrontée à un choix de
«realpolitik», avec une opinion publique traversée par un sentiment
antimusulman croissant, qui voit les Rohingyas comme des immigrés du
Bangladesh voisin, même si nombre d'entre eux sont installés dans le
pays depuis des générations.
Plutôt qu'un «simple calcul
politicien», l'analyste Renaud Egreteau voit dans cette «discrétion» le
reflet de «la gêne et de l'incompréhension des élites birmanes», au-delà
de Suu Kyi, en proie à «un malaise et une méconnaissance de l'autre
plutôt qu'un simple calcul électoraliste».