
Cette dernière décennie, c’était
plutôt l’arrivée massive de touristes chinois qui préoccupait les habitants de
Jeju, même si elle apportait à la pittoresque île une manne colossale.
Désormais, ce sont des Yéménites, dont la présence inattendue agace la
population locale. Fuyant la guerre, ils ont atterri sur le sol sud-coréen un
peu par hasard.
Le passeport yéménite n’étant pas le plus favorable,
ils sont d’abord arrivés en Malaisie, l’un des rares pays qui acceptent les
ressortissants du Yémen pour trois mois sans visa. A l’approche de leur
expulsion et sans réponse positive à leur demande d’asile, ils se sont repliés
sur Jeju, à la faveur d’un vol ouvert récemment par la compagnie low-cost Air
Asia entre Kuala Lumpur et cette île, où les ressortissants de la plupart des
pays peuvent se rendre sans
visa.
La population locale, peu habituée au brassage
ethnique et dont la jeunesse s’inquiète des difficultés à trouver un
travail, craint ces nouveaux arrivants venus d’un pays éloigné où sévissent des
mouvements djihadistes. « Faux
réfugiés, allez vous-en ! », lit-on sur une affiche
imprimée sur l’île par un groupe d’habitants de Jeju.
Hommes fuyant l’enrôlement forcé
Certains s’étonnent notamment de voir qu’il
s’agit surtout d’hommes relativement jeunes, pas de femmes portant leurs bébés
apeurés, et les suspectent d’être des migrants économiques. « Mais c’est parce que les hommes
entre 20 et 35 sont certains d’être faits combattants au Yémen. Ils
doivent partir pour sauver leur
vie », explique par téléphone Esmail Al-Qublani,
journaliste qui a fui son pays à la fin 2016 et est arrivé à Jeju le
5 mai.
Plus de 552 Yéménites ont atterri comme lui sur l’île
entre janvier et mai 2018, bien plus que les 430 ressortissants du Yémen
qui ont demandé l’asile entre 1994 et fin 2017 à la Corée du Sud, pays qui n’a
accordé le statut de réfugié qu’à 800 personnes depuis vingt-quatre ans.
Une pétition exigeant l’expulsion des Yéménites a été
signée par plus d’un demi-million de Sud-Coréens en quinze jours. Des centaines
de manifestants se sont retrouvés sur la place Gwanghwamun, dans le centre de
Séoul, samedi 30 juin, pour exiger leur
expulsion. « Notre
peuple d’abord ! », « Nous voulons la sécurité », « Abolissons la politique d’exemption
de visa ! », ont-ils scandé.
Esprit d’accueil
La veille, le ministère sud-coréen de la justice avait
annoncé qu’il modifierait la loi sur les réfugiés pour s’assurer qu’il n’y aura
pas d’abus et qu’il augmenterait le nombre d’agents chargés d’étudier les
dossiers afin d’accélérer la vérification d’identité et de « passer méticuleusement en
revue les problèmes potentiels, notamment le terrorisme et la
criminalité ». Les Yéménites s’étaient déjà vu interdire,
le 1er juin,
de quitter l’île
pour rejoindre la
péninsule coréenne, et le Yémen a été retiré de la liste des pays dont les
ressortissants sont exemptés de visa pour visiter la
Corée du Sud.
Les Yéménites suivent cette évolution avec inquiétude
à Jeju. « Je lis les
informations, c’est leur pays et il faut respecter leurs
choix. Nous ne pouvons qu’espérer une vie stable », dit
Esmail Al-Qublani, qui constate toutefois la bienveillance et l’esprit
d’accueil de certains habitants. Un temps, depuis Kuala Lumpur, il avait pensé
rejoindre l’Equateur, un des rares pays ouvert aux Yéménites sans visa. C’est
le lancement des vols à bas coût entre la Malaisie et Jeju qui lui avait
fait décider autrement :
la Corée du Sud, bien plus proche et prospère, devenait accessible. Il
regrette. « C’est mon
destin qui m’a amené ici », ajoute cet homme de 30 ans
qui ne peut rien faire d’autre
qu’attendre la décision de Séoul sur son sort.
Pour tuer le
temps, il observe et est très impressionné par le développement de la Corée du
Sud. « La modernité de
ce pays, c’est un rêve pour nous », raconte-t-il.
LE MONDE | Par Harold Thibault
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