Dans le collimateur du pouvoir,
les médias indépendants du Cambodge sont à l'agonie. A l'inverse, les organes
de presse soutenus par la Chine ont le vent en poupe, renforçant l'emprise
globale du "grand frère" autoritaire sur le pays, à moins de deux
mois des législatives.
Portant costume et grosse bague
en diamant, Lim Chea Vutha, propriétaire du populaire site cambodgien Fresh
News est heureux de partager son amour pour la Chine.
"En tant que Cambodgien,
je soutiens la Chine et l'investissement chinois au Cambodge",
explique-t-il, montrant fièrement une nouvelle version de son site, en
mandarin, lancé en février.
Le site est considéré comme un
porte-voix de l'Etat cambodgien, diffusant des histoires de complots
occidentaux visant à déstabiliser le Cambodge, en ligne avec la rhétorique du
Premier ministre Hun Sen.
"Les Chinois sont ici pour
investir au Cambodge, pas pour détruire le pays", ajoute l'homme de 38
ans, qui a envoyé ses équipes se former en Chine.
Son sentiment reflète l'amour
grandissant de son pays pour son voisin communiste. Ces dernières années,
l'inamovible Premier ministre s'est progressivement éloigné des Occidentaux,
qui avaient été très présents pour aider à la reconstruction du pays après la
dictature des Khmers rouges dans les années 1970.
Les investissements directs
étrangers en provenance de Chine ont doublé entre 2006 et 2017 pour atteindre
1,2 milliard d'euros, selon le gouvernement cambodgien.
Ce soutien de Pékin, qui se
traduit aussi par un appui politique sur la scène internationale, a permis à
Hun Sen d'asseoir ces derniers mois un pouvoir hégémonique. Et de s'en prendre
à l'opposition, qu'il a fait interdire, et à des médias qui osaient encore être
critiques.
Evoquant la corruption et les
affaires qui entourent le clan Hun Sen, qui dirige le pays depuis 33 ans,
quelques journaux représentaient une épine dans le pied du dirigeant. Mais en
une année, le pouvoir a réussi à tout retourner.
- "Méthodes
troublantes" -
Harcelé par les autorités pour
un arriéré d'impôts de 5,3 millions d'euros, le Cambodia Daily a ainsi été
contraint de fermer en septembre.
Il ne restait plus que le Phnom
Penh Post, mais ce dernier vient d'imploser après sa reprise par un
investisseur malaisien dont la société de relations publiques a travaillé avec
Hun Sen.
A l'approche des élections du
29 juillet, il ne reste plus dans le pays que des médias favorables au
gouvernement - appartenant à des amis ou à la famille de Hun Sen.
Les derniers mouvements de Hun
Sen contre la presse libre sont "un écho troublant des méthodes utilisées
en Chine, qui a investi des millions d'euros dans les médias
pro-gouvernementaux cambodgiens", dénonce dans un récent rapport Reporters
sans frontières.
"Ce sera le journalisme
avec des caractéristiques chinoises", s'inquiète Cédric Alviani, qui
s'occupe de l'Asie du Sud-Est pour RSF.
Un diplomate occidental en
poste à Phnom Penh explique que "des fonctionnaires ont donné des
conférences sur le rôle des journalistes pour la stabilité, louant parfois
ouvertement le fonctionnement des médias chinois".
L'influence chinoise prend
également la forme d'investissements directs dans les médias cambodgiens
contrôlés par l'Etat.
La tête de pont du modèle est
Nice TV. La première station de télévision financée par la Chine est une
co-entreprise entre Nice Culture Investment, un groupe basé en Chine, et le
gouvernement cambodgien, selon les médias d'Etat chinois.
- Station au ministère de
l'Intérieur -
Gérée par des directeurs
chinois, la station est hébergée à l'intérieur du ministère de l'Intérieur du
Cambodge, où elle diffuse des émissions en langue khmère.
Huy Vannak, du ministère,
explique que la chaîne est un service public et défend le soutien de la Chine,
rappelant que les Etats-Unis ont également financé des médias dans le pays.
Pour Alex Odom, qui travaille
avec des entreprises chinoises pour son entreprise Belt Road Capital
Management, l'explosion des médias en langue chinoise est "un reflet des
forces économiques" en présence.
Pour Lim Chea Vutha de Fresh
News, toute aide est bonne à prendre: "Si la Chine nous aide, Fresh News
sera encore plus heureux".
Son application, disponible en
khmer et mandarin, a déjà été téléchargée par 1,2 million d'internautes et il
compte 2,6 millions de "followers" sur Facebook dans un pays de 15
millions de personnes.
AFP / Par Joe FREEMAN et Suy SE |
Lim Chea Vutha, propriétaire du site cambodgien Fresh News, lors d'une interview avec
l'AFP dans ses bureaux, le 21 mai 2018 à Phnom Penh
PHNOM PENH (AFP) -
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