Les négociations furent pénibles, mais Annan réussit à
convaincre Hussein d'accepter tout ce que Washington et d'autres capitales
avaient exigé de lui. Annan rentra épuisé, euphorique, sobrement fier de sa
victoire. Le Conseil de sécurité avalisa l'accord, et les inspecteurs se
remirent au travail.
Puis Saddam Hussein changea d'avis et décida de leur
barrer la route. L'accord fut révoqué, et en décembre 1998, dix mois après le
départ de Kofi Annan pour Bagdad, les États-Unis et le Royaume-Uni bombardèrent
l'Irak.
Trump un pas derrière Annan
Cet épisode m'est revenu en mémoire lorsque le président
américain Donald Trump, tout joyeux, a annoncé la sortie de l'impasse
nucléaire qui l'opposait au leader nord-coréen Kim Jong-un, avec un accord
de dénucléarisation de la péninsule coréenne jugulant une réelle probabilité
d'escalade belliqueuse.
Sauf que Trump est un pas derrière Annan, vu que son équipe est revenue à
Washington sans le moindre accord concernant les inspecteurs militaires. Le
président américain n'a pas non plus testé la disposition de ce dictateur
absolu à autoriser l'entrée des inspecteurs sur son territoire. Et Kim Jong-un,
contrairement à Saddam Hussein, possède de vraies armes de destruction massive.
Si l'expérience est d'un quelconque secours, elle nous indique que ce tirage de
bourre se terminera dans un océan de larmes.
Une fois revenu aux États-Unis avec ce qu'il pensait être
un rameau d'olivier, Annan reçut une volée de bois vert. Il avait déclaré,
plus ou moins au premier degré, qu'il entendait «faire des affaires» avec
Saddam –une affirmation somme toute modeste comparée à la «formidable relation»
que Trump prétend avoir établie avec Kim. Trent Lott, alors chef de la majorité
au Sénat, accusa le secrétaire général d'avoir courbé l'échine devant un
monstre. L'administration Clinton examina méticuleusement l'affaire, avant de
se dire satisfaite.
Limites de l'analogie avec l'Iran
On se demande quel regard porteront ses collègues
républicains sur l'accord purement rhétorique du président Trump. Vont-ils
appliquer à la Corée du Nord le même raisonnement qu'à l'Iran?
Les Républicains ont serré les rangs derrière Trump
lorsqu'il a abrogé l'accord nucléaire avec la République islamique,
qu'importe les dispositions extrêmement élaborées concernant le respect des
inspecteurs militaires que stipulait le texte. Vont-ils insister pour que
l'administration Trump garantisse une conformité encore plus stricte que celle
que l'administration Obama avait négociée avec Téhéran? Ou vont-ils donner un
blanc-seing à Trump, parce qu'une victoire diplomatique leur importe davantage
que le désarmement effectif de la Corée du Nord?
La mission Annan montre
combien il est intrinsèquement difficile de faire accepter à des dictateurs ce
qu'ils voient comme une violation fondamentale de leur souveraineté. Avec le
document qu'il avait signé, Saddam Hussein s'engageait à permettre aux
inspecteurs un accès illimité aux sites dits présidentiels, qui se sont avérés
s'étaler sur des milliers de kilomètres carrés, à condition qu'ils soient
accompagnés de diplomates.
Mais en août 1998, Saddam perdit patience et exigea que
les inspecteurs lui remettent un rapport favorable, puis que le Conseil de
sécurité annule les sanctions qui lui avaient été imposées. Il mis fin à sa
coopération, ce qui enclencha une nouvelle crise et mena à l'opération Renard
du désert –une campagne de bombardement de quatre jours, en décembre.
L'analogie avec l'Irak semble s'appliquer a
fortiori à la Corée du Nord de Kim. Saddam avait de bonnes raisons de se
conformer à l'accord, notamment parce qu'il avait déjà éliminé ses armes de
destruction massive, mais aussi parce que l'Irak pouvait redevenir une
puissance régionale d'envergure, une fois les sanctions levées. En revanche, si
la Corée du Nord dispose d'un vaste programme nucléaire, ses atouts s'arrêtent
là, que Donald Trump admire ou non la valeur immobilière latente du front
de mer nord-coréen. Kim Jong-un est encore plus habitué que Saddam Hussein à
exercer un contrôle absolu sur son territoire. Sera-t-il plus disposé que lui à
l'abandonner?
Donald Trump en est évidemment persuadé, car il suppose
que Kim s'intéresse à tout ce qui intéresse les personnes sensées –l'argent. Il
échangera ses armes contre une batterie de complexes hôteliers cinq étoiles
avec vue sur la mer. C'est peut-être vrai.
Le régime iranien a effectivement fait un tel calcul, mais
la légitimité de ce régime dépend davantage du soutien de sa population, et
donc du développement économique, que la dynastie Kim, qui s'est servi de la
famine de masse comme d'une arme politique. En outre, si les concessions faites
par les Iraniens pour accéder aux marchés internationaux ont été insuffisantes
pour Trump, difficile de concevoir ce qu'il faudrait faire accepter à Kim pour
obtenir un accord plein et entier.
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Kim le maître-chanteur
Mais imaginons un instant que les négociateurs des deux
pays parviennent à une entente mutuelle sur la dénucléarisation, soit le
démantèlement progressif du vaste arsenal de la Corée du Nord. Imaginons aussi
que les Nations Unies parviennent, d'une manière ou d'une autre, à rassembler
les milliers d'inspecteurs qualifiés nécessaires pour superviser et garantir
l'accord.
Et si, pendant ce temps, Kim a
dans l'idée de cacher une demi-douzaine d'ogives nucléaires ou un centre secret
d'enrichissement souterrain? S'il rechigne à ce que les inspecteurs y aient
accès? Et si, comme Saddam, il réclame un allègement des sanctions bien avant
qu'il ait prouvé son respect réel de l'accord .
Nous n'avons pas ce genre de précédent avec l'Iran, vu que
les Iraniens ont honoré les engagements qu'ils avaient pris dans l'Accord
de Vienne de 2015. La comparaison est à faire avec l'Irak de 1998.
Les États-Unis pourraient ne pas bombarder la Corée du
Nord, parce que les conséquences seraient trop lourdes, même pour ce président
américain –espérons-le. En réalité, nous devrions remercier Trump de s'être
immiscé dans cette brèche, parce que ses chances de réussite sont supérieures
aux risques qu'un échec mène à la guerre. Sauf qu'une rupture de l'accord
conduirait à un redoublement des hostilités, et nul ne sait où cela pourrait
nous mener.
Mais on peut aussi envisager un scénario entièrement
différent. Il est possible que Kim, qui n'est visiblement pas un imbécile,
comprenne que Trump a tellement envie de croire à ses rêves où il se fantasme
en sauveur du monde qu'il serait à même de fermer les yeux sur quasiment toutes
les violations de leur putatif accord. La stratégie du leader nord-coréen
serait alors de coopérer juste ce qu'il faut pour repousser l'horizon de
dénucléarisation vers l'infini.
Et pour préserver son triomphe diplomatique,
l'administration Trump pourrait ne pas tenir compte de ce que l'administration
Clinton n'a pas pu ignorer il y a vingt ans. Ce qui serait la pire des issues
possibles, puisque Kim obtiendrait la légitimité qu'il recherche sans renoncer
à ses attributs de maître-chanteur mondial.
James Traub — Traduit par Peggy Sastre —
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