La
décision de Donald Trump, qui a annoncé, mardi, le retrait des États-Unis de
l'accord sur le nucléaire iranien, affaiblit considérablement le président
iranien Hassan Rohani, chef de file des modérés en Iran.
En enterrant l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien et
en ordonnant le rétablissement des sanctions contre la République
islamique d’Iran, mardi 8 mai, Donald Trump a porté un coup
dur au président Hassan Rohani et au camp réformateur, tout en donnant
du crédit aux ultraconservateurs.
Figure du camp "modéré" en Iran, Hassan Rohani s'est fait
élire en 2013 puis réélire au premier tour quatre ans plus tard, sur la
promesse de sortir le pays de son isolement international et de ramener la
prospérité, grâce à l'accord de Vienne de 2015. La volte-face américaine
fait voler ses plans en éclats et l’affaiblit un peu plus, alors que les
bénéfices économiques de cet accord n’ont pas été à la hauteur des
attentes du peuple iranien. Selon la Banque mondiale, l’Iran connait un taux de
chômage particulièrement élevé chez les jeunes (29,2 %), et un taux de
pauvreté général de 13,1 %.
Pour Bernard Hourcade, chercheur émérite au CNRS et spécialiste de
l’Iran, la décision du président américain va forcément "provoquer
des remous" au sein de la classe politique iranienne. "La décision
américaine est un cadeau aux plus radicaux du pouvoir iranien, aux Gardiens de
la révolution, et à l’aile la plus conservatrice de l’opinion publique du
pays", précise-t-il.
Dès le lendemain de l’annonce de Donald Trump, les médias iraniens
proches des ultraconservateurs, farouches opposants à l’ouverture prônée par le
président Rohani et à toute négociation avec Washington, ont donné le ton.
"Trump a déchiré l'accord nucléaire, il est temps pour nous de le brûler",
a ainsi titré le quotidien ultraconservateur Kayhan. Lors d'une séance animée
au Parlement, plusieurs députés ultraconservateurs sont passés symboliquement à
l’acte en brûlant un drapeau américain et une copie du texte de l'accord de
Vienne à la tribune du Majlis aux cris de "Mort à l'Amérique".
"La guerre est relancée"
Cité par l’agence officielle Fars, Mohammad Ali Jafari, le chef des
Gardiens de la révolution, corps d’élite de l’armée qui a le devoir de
sauvegarder la révolution et ses acquis, a salué la sortie des États-Unis de
l’accord de 2015. Un texte qui "n’était pas crédible" dès le départ,
a-t-il précisé, dans une critique à peine voilée de la politique du
président Rohani.
"La guerre entre ultraconservateurs, modérés et réformateurs est
relancée, ce développement est un coup dur pour Hassan Rohani qui avait mis
tout son poids dans la balance pour la conclusion de cet accord", souligne
Gauthier Rybinski, spécialiste des questions internationales au sein de la
rédaction de France 24.
S’il est assuré de rester au pouvoir, les prochaines élections
législatives étant prévues en 2020, et la présidentielle en 2021, la marge de
manœuvre du président iranien pourrait se réduire un peu plus dans un pays où
l'ayatollah Ali Khamenei reste la plus haute autorité et décide des grands
axes de la politique intérieure et internationale.
Ce dernier a accepté, mercredi, de laisser Hassan Rohani négocier
un sauvetage de l'accord avec la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni – les 3
pays européens signataires – mais il a exigé en contrepartie de sérieuses
garanties pour que son pays y reste lié. "Maintenant, on dit qu'on
veut continuer l'accord nucléaire avec les trois pays européens, (mais) je ne
fais pas confiance à ces trois pays (...) Vous voulez conclure un accord,
obtenez des garanties réelles, car demain ils feront la même chose que ce que
les États-Unis ont fait", a-t-il toutefois prévenu lors d’un discours
télévisé.
Une manière de maintenir timidement à flot politiquement un Hassan
Rohani qui risque de voir au cours des prochaines semaines se multiplier les
attaques des ultraconservateurs destinées à déstabiliser son gouvernement et à
saper sa crédibilité.
"Si l’économie iranienne, qui est déjà mal en point, s’effondre,
et le risque est réel à cause du rétablissement à venir des sanctions
américaines, les faucons seront renforcés en Iran, et opteront pour une
politique beaucoup plus agressive", explique à France 24 Henri Barkey,
professeur de relations internationales à Lehigh University, en Pennsylvanie.
Union nationale
Reste à savoir comment vont réagir les Iraniens. Vont-ils renvoyer
dos-à-dos les réformateurs et les conservateurs, comme lors des
manifestations de décembre contre les conditions de vie, ponctuées d’appels à
la démission de Rohani ainsi que des membres du haut clergé chiite de la
République islamique ? "On risque de voir émerger un réflexe instinctif de
resserrement nationaliste face à ce qui est perçu comme une gifle", estime
Gauthier Rybinski.
Pour Bernard Hourcade, l’heure est pour l’instant à l’union en Iran.
"Il y a une sorte d’union nationale en Iran sur le fait que le pays ne
peut se laisser imposer quoique ce soit par une grande puissance comme les
États-Unis, les Iraniens sont en train de s’unir malgré leurs divisions
intérieures face à ce qu’ils considèrent comme une agression américaine,
juge-t-il. Le pari de Donald Trump, d’Israël et de l’Arabie Saoudite de faire
tomber le régime iranien risque d’aboutir à l’inverse de l’objectif de leurs
manœuvres".
Dernière modification : 10/05/2018
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