Des soldats russes en parade en uniforme de 1941, le 7
novembre 2017, sur la place Rouge à Moscou;
afp.com/Mladen ANTONOV
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Le président
russe assure le service minimum concernant le centenaire des événements de
1917. Un écho à ses critiques choisies à l'encontre de l'ère soviétique.
Pour le centenaire de la Révolution bolchevique d'octobre, Vladimir Poutine a soigneusement évité
d'apparaître sur la Place Rouge. Comme le maître
du Kremlin l'a annoncé, l'État russe n'a dorénavant plus rien à commémorer
le 7 novembre, considéré comme un jour de travail comme les autres. Cette
absence, pour le centenaire de l'un des événements les plus importants de
l'histoire du XXe siècle est symptomatique du rejet calculé qu'entretien le
président russe vis-à-vis de l'URSS.
En lieu et place de la grande parade soviétique d'antan,
la Place Rouge a accueilli une reconstitution historique. Des soldats en
uniformes de 1941 ont ainsi commémoré le symbolique défilé de départ au front
de la bataille de Moscou, lorsque la capitale se trouvait sous la menace
directe d'une offensive nazie. "Si Poutine avait pu passer directement en
2018, où il va se faire réélire en mars, il l'aurait fait", estime Marie
Mendras, politologue au CNRS et à Sciences Po.
Les autorités russes ont assuré le service minimum
concernant l'évocation du centenaire de cette année décisive de 1917, de la
chute du Tsar en février à la prise de pouvoir de Lénine huit mois plus tard.
Rien à voir avec la célébration nationale du bicentenaire de la prise de la
Bastille, en France, le 14 juillet 1989. 1917 est trop révolutionnaire pour un
Poutine attaché à l'ordre, à la stabilité et, comme le rappelle le nom de son
parti, une "Russie unie".
Poutine n'aime pas Lénine
"Poutine a eu l'habileté, depuis 18 ans, d'élaborer
une idéologie kitsch unifiant deux courants opposés, mais qui soutiennent tous
deux sa politique: celui qui est favorable à Lénine, à l'URSS, à l'idéal
socialiste d'un côté, celui qui exalte la Russie tsariste et orthodoxe, et hait
les assassins bolcheviques de Nicolas 2 de l'autre", analyse Michel
Eltchaninoff, auteur de Dans la tête de Vladimir Poutine, aux éditions
Solin/Actes Sud.
Le successeur de Boris Eltsine avait déclaré en 2005 que
"celui qui ne regrette pas la dissolution de l'Union soviétique n'a pas de
coeur", ajoutant que "celui qui veut ressusciter l'Union soviétique
n'a pas de cerveau". "Il rejette l'idéologie marxiste-léniniste et
estime que la révolution met en danger la stabilité du pays, précise Michel
Eltchaninoff. Mais il cultive une forme de nostalgie pour l'empire soviétique
et son image de force, d'une époque où Moscou tenait tête - comme c'est de
nouveau le cas aujourd'hui - aux Américains."
Vladimir Poutine lors de la traditionnelle émission
annuelle de questions-réponses, le 15 juin 2017, à Moscou.
Lénine? Très peu pour Poutine. En 2016, il lui a reproché
d'avoir inscrit dans la constitution de l'URSS la possibilité aux républiques
membres de pouvoir la quitter. Il avait ainsi évoqué "une bombe à
retardement posée par les leaders d'octobre 1917 sous le bâtiment de l'État
unifié qu'était la Russie". Il lui reproche également les purges qui ont
touché les Romanov et le clergé orthodoxe, qu'il a remis en selle depuis son
accession au pouvoir en 1999.
L'histoire au service du régime
Concernant Staline, l'ancien espion du KGB se montre plus
nuancé, notamment parce qu'il est l'homme de la victoire sur les nazis. Il n'a
pas hésité à défendre le pacte germano-soviétique, qui a pourtant dépecé la
Pologne. S'il a inauguré fin octobre un mémorial consacré aux victimes des
répressions politiques, baptisé "Mur du Chagrin", Poutine est accusé
par les associations de défense des droits de l'Homme de chercher à faire
oublier les crimes de Staline, dont on exalte la force et la bonne gestion du
pays dans les nouveaux manuels scolaires.
"Alors que les Russes s'intéressent à nouveau
énormément, depuis quelques années, à leur histoire, on assiste à une
glaciation de cette histoire, transformée en idéologie par le pouvoir, au nom
de la grandeur russe, regrette Michel
Eltchaninoff. Le centenaire des révolutions de 1917 est une occasion
manquée de se pencher sérieusement sur les blessures, non encore refermées, de
la période soviétique."
En conservant quelques
souvenirs, Poutine s'évertue au fil des années à solder ce passé communiste.
Pour autant le lointain successeur de Lénine ne compte pas enlever sa momie du
célèbre mausolée adossé aux murailles du Kremlin. "Poutine souhaite une
vie politique anémique et refuse tout ce qui fait débat, constate Marie
Mendras. Mais il ne veut pas mettre fin au culte de Lénine, car le régime ne
veut pas entrer dans une discussion ouverte sur l'histoire." La si
discrète commémoration du centenaire de la révolution de 1917 est en la
parfaite illustration.
Par Clément Daniez,
publié le 08/11/2017
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