Après huit mois
d’interruption, les négociations intersyriennes sous l’égide de l’ONU, destinées
à trouver une issue politique au
conflit et à jeter les bases d’une transition,
doivent reprendre mardi 28 novembre à
Genève. Les Nations unies, mais aussi les grandes capitales occidentales et
arabes marginalisées par les initiatives diplomatiques du président russe
Vladimir Poutine, cherchent ainsi à reprendre la main.
Avec l’écrasement de
l’organisation Etat islamique (EI) et la reprise, par le régime et ses alliés iranien et
russe, de bon nombre des territoires auparavant aux mains des djihadistes, se
dessinent désormais plus clairement les enjeux de l’après-guerre. Si les
combats restent intenses dans l’enclave rebelle de la Ghouta, assiégée et
bombardée par le régime, notamment aux portes de Damas, ils ont quasiment cessé
dans trois des quatre « zones de désescalade » négociées entre
Russes, Iraniens et Turcs dans le cadre du processus d’Astana, lancé en janvier 2017
dans la capitale du Kazakhstan, sous le parrainage de Moscou.
Le représentant spécial de
l’ONU, Staffan de Mistura, qui se définit volontiers comme « un incorrigible
optimiste », veut croire que les négociations de
Genève vont pouvoir sortir de l’impasse
après plus d’un an et demi de piétinement et de longues interruptions dues aux
offensives du régime.
Paris
voudrait revenir dans le jeu diplomatique syrien
« J’espère que, d’ici à la fin
de l’année, un signal clair sera envoyé au peuple syrien que nous tournons la
page du passé, et que tous les problèmes relèveront du champ politique », a lancé Staffan De Mistura, le 24 novembre à Moscou,
où il s’était rendu pour tenter de convaincre le Kremlin d’appuyer le processus de paix onusien.
Vladimir Poutine, après avoir reçu à Sotchi, sur la mer Noire, le président syrien
Bachar Al-Assad puis ses homologues turc et iranien, Recep Tayyip Erdogan et
Hassan Rohani, veut organiser un congrès des peuples de Syrie, réunissant le régime, l’opposition
et toutes les composantes ethniques et politiques du pays. Moscou assure vouloir ainsi « stimuler » le
processus de Genève, mais non s’y substituer. M. Poutine a par ailleurs déclaré au président des
Etats-Unis Donald Trump, lors d’un entretien téléphonique, vouloir « trouver
une solution à long terme » pour le pays. Si la Russie s’est affirmée comme une
puissance incontournable en Syrie depuis son intervention militaire de
l’automne 2015, elle ne peut prétendre être le seul faiseur de paix, d’autant que sa puissance
économique équivaut à celle de l’Italie.
« Les autorités russes sont
conscientes de leurs limites et elles ont besoin de donner une légitimité internationale à leur action diplomatique,
ce qui passe nécessairement par Genève et par les Nations unies », analyse-t-on à l’Elysée. Paris voudrait revenir dans le jeu
diplomatique syrien, d’autant que les forces françaises ont été – après celles
des Etats-Unis, mais très loin derrière – les plus engagées dans la coalition
contre l’EI.
Délégation unie de
l’opposition
Un des grands problèmes, côté
occidental, a été l’illisibilité de la nouvelle administration américaine sur
le dossier syrien depuis l’élection de M. Trump. Peu à peu, Washington sort du
flou, notamment en rappelant par la voix de Nikki Haley, son ambassadrice à
l’ONU, les crimes du régime et en assurant que Bachar Al-Assad ne peut incarner à terme l’avenir de son peuple. Une position proche de
celle de Paris : même si Emmanuel Macron a cessé de réclamer à haute voix le départ du dictateur syrien, il a rappelé à
plusieurs reprises, y compris devant l’assemblée générale de l’ONU, que Bachar
Al-Assad devrait un jour répondre de ses exactions. En outre, les liens de Paris avec
l’opposition syrienne restent forts.
Juste avant sa visite à Moscou,
Staffan de Mistura a fait étape à Riyad, en Arabie saoudite, où se
trouvaient les différentes composantes de l’opposition syrienne, qui ont
décidé, pour la première fois, de présenter une délégation unie à Genève, en intégrant des opposants
dits modérés, acceptés par le régime, dans le cadre des discussions à venir avec Damas. Un Conseil des négociations de cinquante
membres, dont la présidence a été attribuée à Nasser Al-Hariri, un cardiologue
déjà présent aux discussions de Genève, conduira les négociations.
Il n’exige plus le départ de Bachar
Al-Assad comme préalable au règlement du conflit. Tous les pourparlers
précédents avaient achoppé sur cette exigence, devenue plus difficile à soutenir depuis la victoire militaire du régime. « L’opposition
doit être assez réaliste pour comprendrequ’elle n’a pas gagné la guerre », répétait depuis des mois M. de Mistura. Ces changements
confortent les espoirs de l’émissaire onusien, qui se sait aussi totalement
soutenu par le nouveau secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres.
« Gouvernance inclusive »
Le dernier épisode de discussions au
bord du Léman s’était achevé en mars sans résultat. Mais en fait, les
négociations n’ont jamais réellement commencé. Pas une seule fois les
négociateurs du régime et ceux de l’opposition n’ont discuté face à face dans
la même pièce, tout au long des sept cycles entamés en mars 2016 dans le
cadre de la résolution 2254 du Conseil de sécurité de décembre 2015, la
seule sur la Syrie qui n’ait pas été bloquée par un veto russe.
Staffan de Mistura, ou l’un de ses
collaborateurs, faisait la navette entre les différentes salles du palais des
Nations, à Genève, rencontrant successivement les délégations du régime, de
l’opposition, et celles des groupes dits « du Caire » et
« de Moscou », qui regroupent des opposants adoubés par Damas et qui
restaient en marge des tractations. « Quitte, au passage, à beaucoup arrondir les angles en rapportant à chacune des parties ce
qu’exigeait l’autre », rapporte avec ironie un
diplomate, tout en reconnaissant des points de convergences entre les
parties « sur la souveraineté, l’intégrité territoriale du pays et la
continuité de l’Etat ».
L’opposition assure être désormais
prête à parler directement et sans condition préalable avec le régime.
Jusqu’alors, les représentants de Damas avaient refusé de traiter avec ceux qu’ils qualifiaient de
« terroristes ». Sont-ils prêts à vraiment négocier cette fois-ci ? Staffan de Mistura a annoncé lundi au
Conseil de sécurité n’avoir toujours pas de confirmation de la venue à Genève
des représentants du gouvernement syrien.
Les discussions doivent porter sur les trois thèmes prévus par la feuille route de la
résolution 2254 : l’instauration d’une « gouvernance
crédible, inclusive et non sectaire », l’élaboration d’une
nouvelle Constitution, puis la mise sur pied d’élections « avec
le niveau le plus élevé de transparence sous la supervision des Nations
unies ». Un quatrième panel a été rajouté au printemps
dernier, à la demande du régime, sur le « terrorisme ». Mais la
question centrale reste celle de l’organisation du pouvoir et de l’avenir de
Bachar Al-Assad.
Dans la négociation
serrée qui s’annonce, les Occidentaux et les capitales arabes qui soutiennent
l’opposition syrienne disposent d’un levier essentiel pour obliger le
régime à accepter une
véritable transition : les fonds qui seront alloués à la reconstruction de
la Syrie, un chantier titanesque. « Il est essentiel que les Européens mettent
en avant cette dimension d’un réel changement politique en Syrie, analyse
Galip Dalay, chercheur à la fondation Al-Sharq et un des meilleurs spécialistes
de la région. Car autrement, cette crise continuera encore
longtemps. »
LE MONDE | •
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