Déclaration
d’intérêts
Benjamin Habib ne travaille pas, ne conseille pas, ne
possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait
tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son
poste universitaire.
Le sixième essai nucléaire nord-coréen, réalisé
dimanche 3 septembre, montre que le régime de Pyongyang pourrait
bientôt mettre au point une ogive nucléaire miniaturisée, à même d’être
déployée dans un missile balistique intercontinental. En effet, la secousse
tellurique de magnitude
6,3 sur l’échelle de Richter qui a été enregistrée en Corée du Nord a été
provoquée par une explosion nucléaire qui pourrait
être celle d’une bombe à hydrogène. Ce séisme artificiel a été
approximativement 10 fois
plus puissant que celui enregistré lors des derniers essais nucléaires
nord-coréens, en septembre 2016.
La crise diplomatique créée par l’explosion nord-coréenne
place les États-Unis dans une situation dont ils sortiraient à tous les coups
perdants. Cette impasse aggrave d’ailleurs la crise, puisque la réaction de
l’administration américaine à cet essai nucléaire peut s’avérer très ferme.
Prenons donc le temps d’envisager quelques scénarios.
La guerre
Si les États-Unis rentraient en guerre contre la Corée du
Nord, la vie de millions de personnes résidant dans toute la région serait en
jeu. À la suite de ce dernier essai nucléaire, James Mattis, secrétaire à la
Défense, a menacé
la Corée du Nord, d’« une réponse militaire efficace et
massive ». Utilisant une rhétorique inappropriée, ce type de propos,
distillés par l’administration Trump, portent atteinte à la crédibilité et au
positionnement régional des États-Unis.
En effet, toute action militaire contre la Corée du Nord
est particulièrement
risquée. Plus largement, il ne semble pas qu’il existe une option politique
convaincante liée à l’utilisation de la force. C’est d’ailleurs ce que relevait
Steve Banon, conseiller de Donald Trump jusqu’au 18 août dernier :
« Il n’existe pas de solution militaire à la menace
nucléaire nord-coréenne, vous pouvez faire une croix dessus. À moins que
quelqu’un m’explique comment, si un conflit éclatait, les 10 millions de
coréens du sud qui vivent à Séoul ne mourraient pas dans les 30 premières
minutes, tués par des armes conventionnelles ; il n’y a donc pas de
solution militaire, ils nous tiennent. »
De ce fait, peu importe le scénario, les États-Unis
perdraient la guerre, bien que leurs forces militaires, soutenues par l’armée
sud-coréenne, finiraient inévitablement par remporter le conflit.
Ne rien faire
Si jamais l’administration Trump continuait à bomber le
torse, tout en ne faisant rien, elle laisserait les alliés régionaux des
États-Unis dans une situation risquée, et donnerait à la Chine un boulevard
dans la reconfiguration politique régionale en Asie du Nord-Est. Les alliances
américaines avec les États situés dans cette région, en particulier la Corée du
Sud, s’en trouveraient contestées, indépendamment de ce que Donald Trump pourrait
faire par la suite.
En cas de guerre, les futurs missiles nucléaires
intercontinentaux de la Corée du Nord augmenteraient le risque, pour les
États-Unis, d’avoir à défendre la Corée du Sud et le Japon. Cette situation
minerait la confiance de ces États en la garantie sécuritaire américaine.
D’ailleurs, le fait que l’administration Trump ait
tardé à nommer des ambassadeurs en Corée du Sud et au Japon ne contribue
pas à apaiser la situation actuelle.
Toute action militaire qui mènerait à une escalade vers la
guerre pourrait déclencher une attaque de l’artillerie nord-coréenne sur Séoul
(la capitale sud-coréenne), et des frappes de missiles sur d’autres cibles, en
Corée du Sud, au Japon, et même bien plus loin.
Si elle était poussée dans ses retranchements et que la
continuité du régime de Kim Jong-un était menacée directement, la Corée du Nord
pourrait même utiliser des
armes nucléaires. Par conséquent, dans la mesure où elles ont été mises en
place pour éviter ce genre d’attaque, les alliances américaines avec la Corée
du Sud et le Japon s’en trouveraient fortement ébranlées.
De nouvelles sanctions
Si les sanctions restent aussi inefficaces qu’elles l’ont
été jusqu’à présent, la Corée du Nord n’aura aucun problème à les contourner et
à parachever l’acquisition d’un arsenal nucléaire complet.
Un tel succès saperait les fondements du régime international
de non-prolifération nucléaire. La Corée du Nord ferait figure d’exemple pour
d’autres candidats potentiels, en leur montrant qu’il est possible de
développer un arsenal nucléaire sans en subir de conséquences significatives –
en dehors de sanctions économiques inefficaces.
Un tel scénario démontrerait aussi que les États-Unis sont
incapables, face à une puissance déterminée à acquérir des armes nucléaires, de
défendre leur hégémonie en la matière.
Le monopole nucléaire est l’un des piliers de la puissance
américaine. Basé sur le Traité sur la
non-prolifération des armes nucléaires de 1967, il stipule qu’aucun État
non doté d’un arsenal au moment de sa signature ne doit s’en doter. Le « spectre
du nucléaire » représenté aujourd’hui par certains pays leur donne
plus de latitude pour négocier avec les États-Unis et réduit les possibilités
pour ces derniers d’exercer leur pouvoir.
Une guerre commerciale avec la Chine
Si les États-Unis décident de mettre la pression sur la
Chine pour qu’elle intervienne, ils prendront le risque de s’engager dans une
guerre commerciale qu’ils ne pourront que perdre.
Sur Twitter, Donald Trump a affirmé que les États-Unis
« considéraient, en plus d’autres possibilités, celle d’interrompre toute
relation commerciale avec les pays qui commercent avec la Corée du Nord ».
Un avertissement à peine voilé à Pékin, principal partenaire commercial de
Pyongyang.
Le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, a
fait la même proposition en annonçant que son ministère travaillait à une
série de sanctions destinées à étrangler « toute activité
commerciale » avec la Corée du Nord.
Des voix se sont également fait entendre pour appeler la
Chine à interrompre
ses livraisons de pétrole brut et ainsi renforcer la pression sur les
épaules du régime de Kim Jong-un.
Cependant, n’oublions pas que Washington
a importé 463 milliards de dollars (389 milliards d’euros) de
marchandises depuis la Chine l’an dernier. Comme
l’avait remarqué Hillary Clinton lorsqu’elle était secrétaire d’État, Pékin
a une marge de négociation considérable avec Washington puisqu’il est son
premier créancier.
Engager une stupide spirale protectionniste, au risque de
conduire à une récession mondiale, ou forcer la Chine à lâcher la « bombe
dollar » ne peuvent donc être des solutions crédibles au problème
nord-coréen.
Le gel du programme nucléaire
Une hypothétique négociation entre Washington et Pyongyang
sur le gel du programme nucléaire en Corée du Nord ne ferait sans doute que
repousser le problème.
Quand on a à l’esprit les propos
fermes tenus rituellement par les dirigeants de la région à la suite de
chaque provocation de la Corée du Nord, et la répétition absurde de l’idée
selon laquelle diplomatie signifie forcément « apaisement »,
discuter
avec la Corée du Nord pourrait, certes, apparaître comme la moins pire des
solutions.
Le régime de Kim est susceptible d’accepter un gel
de son programme nucléaire militaire, ou un moratoire sur ses tests
balistiques, mais uniquement pour gagner de temps. Au sein du modèle de développement
dit « Byungjin » cher à Kim Jong-un (la prolifération nucléaire
et le développement économique), l’arme nucléaire revêt en effet une importance
vitale en terme de légitimité interne, et sous-tend sa longue pratique du chantage
au nucléaire en échange de concessions.
Quoi qu’il en soit, une telle option se heurte à un
obstacle de taille : il n’existe même pas de point de départ commun pour
amorcer la négociation. Par ailleurs, on
voit mal le régime de Pyongyang renoncer volontairement à son programme
nucléaire militaire, clé de voûte de sa stratégie de sécurité nationale, de son
développement économique et de sa légitimation politique sur le plan interne.
Un accord de paix
Si les États-Unis négocient un traité de paix avec la
Corée du Nord, leur prestige risque d’être durablement entamé dans la région –
et la raison d’être de leur présence militaire en Corée du Sud tout simplement
annihilée.
Pourtant, il reste une possible voie de négociation
lorsque la Corée du Nord aura achevé son programme et déployé ses vecteurs
nucléaires. À ce moment précis, elle pourrait en effet appeler les États-Unis à
négocier un accord de sécurité et la fin formelle de la guerre de Corée, la
péninsule demeurant techniquement en état de guerre depuis
l’armistice de 1953.
Mais qu’est-ce qui pourrait bien pousser la Corée du Nord
à s’engager dans telles discussions ? La raison en est simple : une
fois dotée d’une de force dissuasion nucléaire, elle pèsera beaucoup plus lourd
dans les négociations.
Or une telle option est sans doute la moins inquiétante de
toutes aux yeux de l’administration Trump. Il est même fort probable que les
pays de la région soient contraints, au final, de trouver un moyen d’accepter
une Corée du Nord nucléarisée.
Le signe du déclin américain
Au-delà de sa capacité à faire une démonstration de force
et à résoudre cette crise, rien ne dit qu’au final l’administration Trump
n’aura pas fait étalage des limites de sa puissance.
Les événements actuels en Corée du Nord ne seraient-ils
pas la crise
de Suez des États-Unis ?
En 1956, la Grande-Bretagne surestima ses capacités à
maintenir son emprise en Égypte, exhibant par la même occasion le gouffre
existant entre ses prétentions impériales datant d’une époque révolue et la
réalité de sa puissance au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Le cas de la Corée du Nord est emblématique de cette fin
de la suprématie américaine sur la scène mondiale. L’administration Trump
n’a que des cartes perdantes à sa disposition. Cet état de fait illustre de
manière criante le déclin des États-Unis et ses marges de manœuvre de plus en
plus étroites dans l’environnement stratégique de l’Asie du Nord-Est.
4
septembre 2017, 22:43 CEST
Benjamin
Habib
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