Des sculptures en papier caricaturant Trump et Erdogan le 21 février à Mainz (Allemagne). Photo Andreas Arnold. AFP |
Le chef de
l'Etat turc est en visite pour deux jours à Washington, chez son homologue
américain. Avec, au cœur de leur rencontre, la nécessité de converger sur la
crise syrienne.
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Erdogan chez Trump : l'entente des «hommes
forts»
Le chef de l’Etat américain reçoit aujourd’hui le
Président turc en visite à Washington pour deux jours. Avant même de se
rencontrer, Donald Trump et Recep Tayyip Erdogan sont faits pour s’entendre.
Citant les «leaders forts»
avec qui il voudrait coopérer s’il était élu, le locataire de la Maison Blanche
en campagne avait évoqué Vladimir Poutine et le leader turc. Fort sensible à un
tel jugement, celui-ci comptait parmi les rares chefs d’Etat du monde à
envisager positivement l’arrivée d’un Président américain opposé à la politique
d’Obama, espérant un nouveau départ dans les relations turco-américaines.
«De quel
droit les Etats-Unis jugeraient la situation des droits de l’homme dans
d’autres pays», avait affirmé Donald Trump dans une interview au New York Times en mars. Peu de
temps après, il déclarait qu’il ne fallait pas critiquer les purges d’Erdogan
au lendemain du coup d’Etat manqué de juillet 2016. Plus récemment, Trump
a été le premier leader occidental à féliciter son homologue turc pour
sa victoire en demi-teinte au référendum du 16 avril renforçant ses
prérogatives présidentielles. Au moment où les critiques pleuvaient
d’Europe sur le principe comme sur le déroulement du scrutin, ce soutien
américain a été savouré par Erdogan. Il a d’ailleurs salué les frappes
ordonnées par Trump début avril sur une base aérienne du régime de Damas après
l’attaque chimique sur le village rebelle de Khan Cheikhoun. La
perspective d’une meilleure entente américano-turque face à l’alliance des
Russes et des Iraniens autour de Damas se dessinait.
Méfiance vis-à-vis de l’Europe
«La
rencontre entre deux hommes à l’ego puissant et qui ont une vision très
personnalisée des Affaires étrangères est un aspect très important de la
rencontre», note Jana Jabbour, docteure associée au CERI de
Sciences-Po, qui vient de publier
la Turquie. L’invention d’une diplomatie émergente (CNRS éditions).
«Outre la relation humaine, les
deux présidents se retrouvent politiquement sur plusieurs points. En premier
lieu sur leur méfiance vis-à-vis de l’Europe. Trump apprécie l’agressivité
d’Erdogan envers l’UE qu’il veut affaiblir, contrairement à Obama»,
ajoute la chercheuse. Les tensions qui ne retombent pas entre la Turquie et
l’Europe depuis les déclarations enragées d’Erdogan, vexé
de n’avoir pas pu faire campagne pour son référendum parmi les expatriés dans
plusieurs pays européens, poussent le Président turc à renforcer ses
relations avec Washington.
Une première déception est venue doucher la semaine
dernière l’enthousiasme d’Erdogan pour sa première visite à son homologue
américain. L’annonce par les Etats-Unis de la poursuite de leur soutien aux
Unités de protection du peuple kurde (YPG), considérées comme terroristes par
Ankara, a tendu les relations entre les deux pays. La Turquie tente depuis des
mois de se présenter en alternative à ces milices kurdes syriennes qui forment
l’essentiel des forces engagées contre l’Etat islamique en Syrie pour la
bataille de Raqqa. Mais il semble que les plans militaires mis en œuvre depuis
l’ère Obama et s’appuyant sur les forces kurdes devaient être poursuivis par un
Donald Trump pressé d’obtenir une victoire dans la guerre contre le terrorisme.
Ce différend, qui sera au centre des discussions entre les
deux Présidents à Washington, ne devrait pas toutefois bloquer leur entente. «Erdogan pourrait accepter de laisser la
voie libre à Trump à Raqqa en contrepartie d’un feu vert de Washington pour des
attaques de l’armée turque contre les positions du PKK en Irak, dans la région
du Sinjar et surtout pour une poursuite des discussions sur Gulen»,
peut-on lire dans un rapport du Washington Institute for Near East Policy
publié à la veille de la visite d’Erdogan aux Etats-Unis.
Gülen, l’obsession d’Erdogan
L’affaire du prédicateur Fethullah Gülen, ancien allié et
aujourd’hui ennemi juré d’Erdogan, exilé aux Etats-Unis et dont la confrérie
est accusée d’être derrière le
coup d’Etat manqué de juillet dernier, est une priorité pour le président
turc. Il est accompagné à Washington par son ministre de la Justice qui depuis
des mois fournit aux Américains des dossiers accusant le prédicateur. «Ce sera le tout premier sujet sur l’agenda
des rencontres turco-américaines parce que c’est une obsession d’Erdogan,
estime Jana Jabbour. Mais
comme il est hors de question pour les Etats-Unis d’extrader Gülen, Trump va
jouer l’ambiguïté et rester évasif pendant que ses conseillers demandent des
documents supplémentaires. Il pourra ainsi sauver la face d’Erdogan qui peut
prétendre que l’affaire est toujours en cours.»
Reste que malgré les sujets de divergence, les deux
dirigeants ont tout intérêt à renforcer la coopération américano-turque,
surtout en vue des prochaines étapes de la crise en Syrie. D’autant que Trump
est partisan de s’appuyer sur un partenaire régional de poids, «un homme fort» comme Erdogan.
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