Les verdicts récemment prononcés au Laos à l’encontre de simples
critiques du gouvernement sont disproportionnés au regard des
« crimes » de ces derniers : la Fédération internationale des
droits de l’homme (FIDH) vient de révéler
que trois jeunes laotiens, coupables d’avoir posté des commentaires négatifs
sur Facebook à l’encontre
du régime autoritaire au pouvoir
à Vientiane, ont été condamnés en avril à des sentences d’une ahurissante
sévérité, allant de douze à vingt ans de prison.
Deux hommes, Somphone Phimmasone, 30 ans, et Soukan
Chaithad, 33 ans, se sont vu infliger
des peines de respectivement vingt et dix-huit ans d’incarcération. Une femme
d’une trentaine d’années, Lodkham Thammavong, a été pour sa part condamnée à
douze ans.
La justice
laotienne leur reproche également d’avoir participé à une manifestation devant
l’ambassade de leur pays à Bangkok, en Thaïlande, en 2016. Ils
entendaient dénoncer
la situation des droits de l’homme au sein de la République démocratique et
populaire du Laos, ainsi que la déforestation abusive et la corruption. Pour
l’instant, rien n’a officiellement filtré : la presse aux ordres du
régime, la seule autorisée, ne fait aucune mention de ces condamnations. « Silence radio total », constate
une source bien informée au Laos.
L’un des régimes les plus répressifs de la
région
« En
décidant ainsi d’incarcérer des dissidents pour des années, le gouvernement
laotien a abandonné toute ambition de se conformer
aux obligations du pays en matière de droits de l’homme », accuse,
mardi 16 mai, dans un communiqué, Dimitris Christopoulos, président de la
FIDH.
Après l’arrestation du trio, en 2016, à leur retour
au pays, Amnesty international
avait dénoncé leur procès, qui
s’est fait à huis clos. L’ONG a estimé qu’il s’agissait là d’une sorte de « disparition forcée ». En
mai 2016, ils avaient dû se livrer
à un exercice humiliant devant les caméras de la télévision d’Etat,
reconnaissant avoir
attenté à la « sécurité
nationale ».
Le Laos est dirigé depuis 1975 par les héritiers de la
guerre antiaméricaine qui s’est poursuivie durant tout le conflit vietnamien.
Les communistes laotiens étaient alliés du régime de Hanoï. La guerre avait
détruit une partie du pays et fait de nombreuses victimes, les bombardiers de
l’US Air Force ayant déversé sur le Laos plus de bombes que sur l’Europe durant la seconde guerre
mondiale. En visite à Vientiane à l’automne 2016, Barack Obama, alors président
des Etats-Unis, avait reconnu l’ampleur de ces bombardements et accepté de regarder
en face ce qu’il avait appelé « l’héritage
douloureux de la guerre ».
Lire aussi : Obama
en visite historique au très répressif Laos
Les trois jeunes gens, dont les actions ne méritent pas
d’être qualifiées de dissidentes tant sont véniels leurs « péchés »,
ne sont pas les seuls à avoir les frais de la colère des autorités de ce pays,
qui est l’un des plus répressifs de toute l’Asie.
Dans l’un de ses rapports, la FIDH rappelait déjà
en 2016 qu’un certain Boutanh Khammavong était emprisonné depuis
2015 : il a été condamné à quatre ans de prison pour avoir, lui aussi,
critiqué le régime sur Facebook. Deux membres d’un ex-mouvement étudiant,
Thongpaseuth Keuakoun et Sengaloun Phengpanh, croupissent en cellule
d’isolement depuis 1999 dans la prison de Samkhe, à Vientiane. Ils avaient été
condamnés à vingt ans de prison pour avoir tenté d’organiser des manifestations
pacifiques en faveur de la démocratisation.
Chape de plomb
La disparition ultra-médiatisée d’un responsable d’une ONG
soutenant le sort des paysans, Sombath Somphone, avait mis en lumière, ces
dernières années, la désastreuse situation des droits humains au Laos. Arrêté à
un carrefour de Vientiane par des policiers le 15 décembre 2012, il n’a
plus jamais donné de nouvelles.
Même s’il est impossible d’attribuer avec certitude au
régime, ou a des membres de la police
secrète, la responsabilité de la disparition de Sombath, ceux qui ont
vraisemblablement éliminé ce travailleur social
peuvent se frotter
les mains : en se débarrassant d’un homme d’une soixantaine d’années qui
avait, prudemment, émis quelques critiques contre le système, ils ont réussi
leur coup. Depuis, une chape de plomb est tombée sur la capitale, où nul ne
songerait à émettre
la moindre réserve contre le gouvernement.
Lire aussi : Reporters
sans frontières estime que « jamais la liberté de la presse n’a été aussi
menacée »
En janvier 2016, le 10e Congrès du Parti
révolutionnaire populaire lao avait malgré tout provoqué d’importants
changements politiques. La vieille direction avait soudain été remplacée par de
plus jeunes, mais néanmoins d’âges respectables, dirigeants. Ainsi, Bounyang
Vorachit, 78 ans, est devenu président de la République, et l’ancien
ministre des affaires
étrangères Thongloun Sisoulith, 70 ans, est désormais premier
ministre. Ils ont fait de la lutte contre la corruption l’un des axes clés de
leur politique, dans un contexte d’enrichissement des élites
en raison des retombées de la proximité économique avec la Chine. La liberté d’expression, elle,
attendra.
LE
MONDE | 17.05.2017 à 16h44
Par Bruno Philip (Bangkok, correspondant en Asie du Sud-Est)
Par Bruno Philip (Bangkok, correspondant en Asie du Sud-Est)
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