Le 23 novembre 2010, l'île sud-coréenne de Yeonpyeong sous une pluie de bombardements par l'armée du Nord. Photo Incheon city government. AFP |
Pris dans un
jeu d’influences et de dépendances, Pyongyang et Séoul ont déjà connu de très
graves crises dans une des régions les plus militarisées au monde.
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Quand les Corées ont failli replonger dans la
guerre
Depuis la fin de la guerre de Corée en 1953, la
question sécuritaire n’a jamais quitté la péninsule. Près de soixante-cinq plus
tard, les deux Corées qui n’ont jamais signé de traité de paix, se regardent
toujours en chien de faïence par-dessus la DMZ, la bien mal nommée zone
démilitarisée établie autour du 38e parallèle. Symbole de cette guerre froide qui
s’éternise, le poste de Panmunjeom illustre jusqu’à la caricature comment les
deux Corées se font face et se toisent sur l’échiquier de l’Extrême-Orient.
Troubles politiques, crise nucléaire, jeu d’influence des grandes puissances,
manœuvres militaires, chantages et menaces au vitriol, les périodes de tension
ont été nombreuses, faisant parfois craindre à nouveau un conflit ouvert.
1976, l’incident du peuplier
Il était 11 heures le 18 août au matin
quand une crise a éclaté dans la Joint Security Zone (JSA ou zone commune de
sécurité), sous contrôle des Nations unies dans la DMZ. Cinq soldats
sud-coréens, escortés par une dizaine de GI américains, ont commencé à élaguer
un peuplier qui masquait la vue et les mouvements de troupes entre deux postes
d’observation. Une trentaine d’hommes de l’armée nord-coréenne sont arrivés sur
les lieux, exigeant que les Sud-Coréens abandonnent leurs haches : le
peuplier de la discorde avait été planté par Kim Il-sung, le père fondateur de
la République populaire de Corée. L’escadron du Sud a continué sa mission
jusqu’au moment où un officier du Nord a crié à ses hommes : «tuez-les !» Deux
officiers américains sont tués, l’un est battu à mort, l’autre est frappé et
blessé à la hache avant de succomber de ses blessures. «Cet été-là, la guerre de Corée a failli
redémarrer, explique John Delury, historien spécialiste de la
péninsule à l’université Yonsei à Séoul. Ces meurtres au cœur de la DMZ ont fait monter la tension dans toute la
région.»
Henry Kissinger, le secrétaire d’Etat d’alors, suggère au
président Gerald Ford de bombarder le Nord afin que les Etats-Unis
n’apparaissent pas militairement et diplomatiquement. Ford refuse de se lancer
dans une nouvelle guerre qui pourrait voir la Chine et l’URSS intervenir dans
un conflit imprévisible. Il envoie des troupes… pour couper l’arbre. Commence
alors l’opération Paul Bunyan, du nom du très populaire et légendaire bûcheron
américain. Des soldats, des ingénieurs, des troupes de combat américaines et
des forces spéciales sont sur le pied de guerre. Les Etats-Unis placent leurs
troupes en état d’alerte, mobilisent des bombardiers B-52 et la force de frappe
de l’USS Midway. Le 21 août, le peuplier est coupé à six mètres du
sol. Sans provoquer de conflit.
1994, les frappes chirurgicales
On l’a oublié, mais dans les années 1991-1992, les
relations entre les Etats-Unis et la Corée du Nord ont connu une relative
accalmie. A Washington, George Bush ordonne le retrait des armes nucléaires
tactiques installées à travers la planète, notamment en Corée du Sud. A
Pyongyang, on joue la carte de la détente, allant jusqu’à signer avec Séoul une
déclaration de dénucléarisation de la péninsule. Mais début 1993, un
raidissement survient, les inspecteurs de l’Agence internationale à l’énergie
atomique (AIEA) découvrent que la Corée du Nord a procédé à plusieurs opérations
de retraitement de combustible et n’a nullement suspendu son programme
nucléaire. L’AIEA demande de nouvelles inspections de sites nord-coréens. Dans
le même temps, le régime de Pyongyang s’estime menacé par les grandes manœuvres
américano-sud-coréennes Team Spirit. En mars 2013, il annonce son retrait
du traité de non-prolifération. Les Etats-Unis positionnent des missiles
Patriot près du 38e parallèle.
En mai 1994, la Corée du Nord annonce avoir déchargé
du réacteur de Yongbyon 8 000 barres de combustible irradié avec
suffisamment de plutonium pour fabriquer trois à cinq bombes. Pour Washington,
c’est une violation des accords avec l’AIEA et la ligne rouge à ne pas
franchir. L’administration Clinton réclame des sanctions de l’ONU que le régime
de Kim Il-sung perçoit comme un «acte
de guerre». Bill Clinton refuse «d’exclure une opération militaire», comme il l’écrira dans
ses mémoires. Pis, le président américain et son équipe étudient les frappes
que l’armée israélienne a effectuées sur le réacteur irakien d’Osirak en
juin 1981. Le Pentagone déploie une armada au large de la péninsule et
présente un plan d’attaque des installations de Yongbyon (au nord de Pyongyang)
que le président devait approuver le 16 juin 1994. Le même jour, l’ex-président
Jimmy Carter rencontrait Kim Il-sung. Le «Grand Leader» accepte le gel de son programme nucléaire en
échange d’une assistance des Etats-Unis. «Nous avons vraiment été au bord de la guerre» avec la
Corée du Nord, reconnaîtra plus tard William J. Perry, l’ex-secrétaire
à la Défense de Clinton (entre 1994 et 1997) qui aujourd’hui, ne
cesse de plaider pour une négociation directe avec la Corée du Nord telle
qu’elle est et non telle que l’on voudrait qu’elle soit.
2010, l’année catastrophe
En l’espace de quelques mois, une extrême tension est
revenue, faisant de 2010 «peut-être
l’année la plus dangereuse dans la péninsule depuis la guerre de Corée»,
juge deux ans plus tard Charles Armstrong l’historien et directeur du Center
for Korean Research à l’université Columbia dans la Revue des deux mondes.
En mars, une corvette sud-coréenne
de 1 400 tonnes,
le Cheonan, est coulée par une torpille
probablement tirée d’un sous-marin nord-coréen. 46 soldats du Sud périssent et
leur mort est un drame national pour Séoul qui se remémore à cette occasion de
la disparition de 115 personnes lors de l’attentat contre un avion de
Korean Air probablement perpétré par des agents du Nord en 1987. Le
président conservateur, Lee Myung-bak, tonne et annonce qu’il usera dorénavant
de son droit
à l’autodéfense en cas de nouvelles attaques du Nord. «L’ancien triangle qu’on avait appelé
septentrional, composé des trois capitales communistes – Pyongyang, Pékin
et Moscou – du temps de la guerre froide a semblé se redessiner
brusquement, rappelait Junghwan Yoo, professeur émérite de
l’université de Cheongju, dans la revue Hérodote en 2011. Au Sud, les trois pays du triangle méridional, la Corée du Sud, le
Japon et leur allié militaire, les Etats-Unis, serraient les rangs contre le
péril nord-coréen.»
En novembre, la guerre fait son retour dans l’ouest
maritime de la péninsule, dans cette région de tension dénommée la ligne limite
du Nord que l’on appelle aussi les «cinq îles de la mer jaune».
Le 23 novembre, une pluie de 170 obus en provenance du Nord
s’abat pendant
une heure sur l’île de Yeonpyeong, une petite île habitée par 1 890
habitants. Deux soldats et deux civils trouvent la mort. L’attaque serait une
réponse à des tirs d’entraînement du Sud qui auraient atterri dans les eaux
territoriales du Nord. Les images des maisons en feu, des colonnes de fumée
font le tour de la planète. Les batteries du Sud ripostent, mais trois pièces
d’artillerie tombent en panne. Une escadrille de F15 et de F16 est
dépêchée sur zone, sans recevoir l’ordre de déclencher le feu : l’Opcon,
le commandement des forces coréano-américaines, rejette toute escalade. «Les Etats-Unis ont joué alors un rôle de
stabilisateur, de modérateur auprès de la Corée du Sud qui voulait se monter
plus offensive, note le spécialiste John Delury. Aujourd’hui, avec une administration Trump
qui affiche son ignorance et son impréparation, la dynamique n’est plus du tout
la même.» Les Etats-Unis sont redevenus un acteur d’une inquiétante
tension dans la péninsule.
Arnaud Vaulerin
Correspondant au Japon
17 avril 2017 à 07:44
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