La "guerre" contre les théories conspirationnistes est déclarée en France. Le gouvernement lance une campagne en ligne et les enseignants éduquent leurs élèves à décrypter le vrai du faux sur Internet. Certes, les théories complotistes les plus délirantes doivent être démontées, mais l'exercice est-il si simple ? Ne risque-t-il pas de mener à la censure ou à certaines formes de propagande ?
Illuminatis,
reptiliens ou
Roswell, les
théories conspirationnistes, ou "du complot", foisonnent sur
Internet. Une nouveauté apparaît pourtant depuis une quinzaine d'années :
tout événement grave est désormais accompagné d'une théorie alternative à
l'explication officielle (et complotiste) — théorie toujours basée sur un
mensonge d'Etat et une volonté cachée des dirigeants d'arriver à leurs fins.
C'est ainsi que les attentats de Charlie Hebdo ont déclenché un emballement
conspirationniste — particulièrement chez les plus jeunes — à propos de la
couleur des rétroviseurs de la voiture des assassins — et une multitude
d'autres détails — poussant à croire que la vérité avait été cachée,
que cette opération meurtrière aurait été "commanditée en haut
lieu". Le
site des Observers de France 24 décrypte et
démonte les théories complotistes du drame de Charlie Hebdo.
Démonter les théories conspirationnistes auprès des jeunes
Face à cette situation, où l'information officielle et
médiatique est toujours contestée, où les explications les plus inquiétantes et
déstabilisantes prennent le pas sur la réalité, des enseignants et
des journalistes, dont Thomas Huchon, ont décidé de travailler avec des
collégiens ou lycéens pour leur apprendre à démonter les théories
conspirationnistes.
L'expérience du journaliste, retracée
dans l'Obs est simple : un reportage de 8 minutes sur le Sida est
projeté à des élèves de 3ème . Le document vidéo, sous forme d'enquête,
démontre que le Sida aurait été fabriqué dans les années 1960 par la CIA pour
combattre la révolution castriste et justifier le blocus de l'île. La récente
détente entre les deux pays viendrait — selon le reportage — de la
potentielle découverte d'un vaccin contre le Sida par les chercheurs cubains.
Complotistes
: partisan d'une théorie du complot
Comploteurs :
personnes qui font partie d'un complot
Conspirationnistes :
qui soupçonnent ou soutiennent une théorie de la conspiration
Conspirateurs
: personnes qui conspirent, qui participent à une conjuration, une conspiration
Adeptes de la théorie du complot : complotistes
Sceptiques :
personnes qui doutent de ce qui n'est pas prouvé d'une manière évidente,
incontestable
Contestateurs :
ceux qui contestent la validité d'un jugement, d'une version des faits, d'un
consensus
Une fois la projection terminée, Thomas Huchon demande aux
jeunes gens de réagir. Un quart des élèves a adhéré à la thèse du
reportage, une moitié s'interroge, et le dernier quart n'y croit pas. Le
reportage en question est
bien entendu un "faux", fabriqué par le journaliste. S'ensuit la
projection d'un autre documentaire expliquant comment créer une théorie du
complot en vidéo, à destination d'Internet. Le journaliste a laissé son
reportage de 8 minutes sous un faux nom sur Youtube durant 3 semaines. La vidéo
a été visionnée 9300 fois. Des sites complotistes connus, comme Wikistrike ou
Réseau International ont repris la vidéo sur leur site et l'ont même — pour
certains — laissé en ligne malgré la révélation du journaliste sur cette pure
fabrication conspirationniste.
L'exercice est très intéressant, puisqu'il permet à des collégiens de
comprendre comment des documents vidéos postés en ligne parviennent à
être convaincants, alors qu'ils sont tout à fait mensongers. Il leur
montre la nécessité de ne pas adhérer à tout ce qui est diffusé sur une
plateforme comme Youtube. Malgré tout, "9300 vues" en 3 semaines
ne révèlent pas une adhésion forte des internautes (jeunes ou non) à une
théorie conspirationniste.
L'autre sujet, qui n'est pas abordé par le journaliste, est le risque de
"marquer" au fer rouge du complotisme tout travail d'enquête qui
serait déclaré complotiste… par les tenants de la version officielle. Au point
de participer d'une forme de propagande.
Le 11 septembre sème le doute
Si, depuis
des années, chaque événement grave est suivi de théories conspirationnistes, il
est facile de dater la genèse de ce phénomène : les attentats du 11 septembre
2001 contre les tours du World Trade Center et le Pentagone.
Durant plusieurs années, de nombreuses enquêtes indépendantes ont contesté la
version officielle, avec des théories diverses mais qui, toutes, refusent
d'accepter que les tours du World Trade Center aient pu s'écrouler en 9 et
11 secondes respectivement, comme un château de cartes, près d'une heure après
l'impact des avions. Des enquêtes qui interrogent pourquoi les vidéos du crash
contre le Pentagone sont classées "secret défense" sauf une, de
quelques secondes (voir reportage
de Radio Canada), qui ne montre qu'une déflagration provenant de
l'intérieur du bâtiment ? Pourquoi un troisième bâtiment proche des deux
tours s'est-il écroulé de la même manière que les deux tours jumelles (à 31'
dans le reportage de Radio Canada,
voir plus bas), sans qu'il n'ait été touché par les avions ? Sans compter
l'armée de l'air américaine qui n'a jamais décollé pour intercepter le premier
avion de ligne, et surtout le deuxième, plus de 15 minutes après l'impact du
premier.
Selon le
journaliste Thomas Huchon, les Français pensent majoritairement qu'on leur
cache quelque chose sur le 11 septembre parce que les résultats donnés par le
moteur de recherche Google mènent à de nombreuses vidéos contestant la version
officielle. (Photo : Pascal Hérard)
Tous ces éléments ont été publiés par des sites conspirationnistes ou
complotistes, et sont donc désormais déclarés — en France particulièrement —
comme participant définitivement aux théories du complot. Des émissions de
"décryptage" des théories sur le 11 septembre ont même été diffusées
pour démontrer la validité de la version officielle, et surtout attaquer les
affirmations contredisant la dite version officielle.
Mais en Amérique du Nord, les choses ne se sont pas passées de la même manière.
Le reportage d'enquête de notre chaîne partenaire Radio Canada, intitulé "11 septembre 2001 : chacun sa vérité",
en 2010, amène, par exemple, tous les éléments que des sites
complotistes ont pu publier, ainsi que d'autres éléments, encore plus
troublants. Comme l'impossibilité technique de passer des appels avec des
téléphones mobiles depuis les avions, selon leur enquête.
Mais la grande différence entre les publications des sites conspirationnistes
et l'enquête de Radio Canada,
c'est que cette dernière a sourcé et vérifié tous les éléments et témoins
présents dans son reportage, effectué un véritable travail d'investigation
journalistique. Et donné la parole aux deux parties : celles qui défendent la
version officielle et celles qui la contestent. L'enquête de Radio Canada n'est pas une
vidéo youtube montée avec un ordinateur dans un salon et utilisant les recettes
des vidéos conspirationnistes.
La vidéo du reportage de
Radio Canada a été postée sur Youtube par l'association "ReOpen911",
qui s'est créée en 2007, un an après l'association américaine éponyme. Cette
association, ReOpen911, est très souvent considérée par les médias français
comme étant une source complotiste puisqu'elle travaille à apporter les preuves
que la version officielle de la commission sur les attentats du 11
septembre ne sont pas cohérentes.
Malgré tout, ces différentes associations militent uniquement pour l'ouverture
d'une nouvelle enquête indépendante devant permettre de connaître la vérité —
selon elles — sur ces attentats. Le reportage-enquête de Radio Canada ne donne pas de
conclusions définitives sur la réalité des attentats ou leur origine, mais il
pointe tous les points n'ayant jamais trouvé de réponse satisfaisante sur ce
drame.
Relativisme des théories
complotistes : le discours général depuis plusieurs années, face à des
événements dérangeants ou obscurs, veut que l'on place au même niveau des
rumeurs basées sur des théories improbables, comme la mort de Paul McCartney (remplacé selon une théorie par un jumeau en 1966) et des événements aux conclusions
troubles et contestables, tels les versions officielles du 11 septembre ou
celle de l'assassinat de JFK. Le public aurait des "croyances"
comparables sur ces sujets, alors que la théorie de Paul Mac Cartney n'est
qu'une rumeur délirante complotiste, tandis que les deux autres sujets sont de
véritables sujets d'études — contestés — mais qui font l'objet de discussions,
d'expertises et contre-expertises sérieuses.
Décryptage du décryptage : l'anticonspirationnisme en question
La
question de l'origine de l'emballement pour les théories
conspirationnistes est directement liée au traitement des attentats du 11
septembre. Cette affaire soulève encore aujourd'hui des débats enflammés, entre
ceux qui ont décidé de démontrer l'inanité des théories de la démolition
contrôlée des tours, et ceux qui persistent à prouver qu'elles n'ont pas pu
s'écrouler autrement que par des explosifs, par exemple.
C'est dans ce cadre de décryptage des théories de démolition contrôlée que le
journaliste Stéphane Malterre a réalisé un reportage diffusé sur
Canal+ pour l'émission Les jeudis
de l'investigation en 2008. Ce reportage décrypte un
documentaire américain, Loose
change, et tente de démontrer que toute la théorie de démolition
qui y est développée est tronquée, fausse ou fabriquée. Invité
ensuite dans l'émission Arrêt sur images de
Daniel Schneiderman, en présence du président de l'association ReOpen911,
Stéphane Malterre va alors se retrouver lui-même "décrypté" dans les
procédés qu'il a utilisés pour effectuer sa démonstration. Le décryptage du
décryptage de la théorie du complot ? La méthode démontre que
l'anticonspirationnisme peut lui aussi utiliser des méthodes normalement
réservées aux conspirationnistes.
Le décryptage du reportage de Stéphane Malterre, avec des extraits de
l'émission d'Arrêt sur images
a été publié en vidéo par l'association ReOpen911. Décryptage contre
décryptage, chacun peut se faire une idée, aller vérifier au fur et à mesure
chacune des affirmations et contre affirmations contenues dans cette vidéo de ReOpen911,
basée sur des documents officiels :
Le biais majeur du travail du journaliste est qu'en
voulant à tout prix démontrer qu'un documentaire effectué par de
jeunes Internautes amateurs est une vidéo conspirationniste, il en
vient à tronquer lui-même la vérité, effectue des raccourcis, et utilise des
procédés déloyaux. Au point d'être accusé clairement de manipuler les
téléspectateurs de Canal+ par le décryptage de ReOpen911. Les jeunes
amateurs de Loose change n'ont
en réalité fait qu'une seule chose : reprendre de nombreuses conclusions et
témoignages existants, exactement comme l'a fait Radio Canada deux ans plus
tard. Avec plus d'approximations, moins de détails d'enquête, et une volonté
prononcée de démonstration "à charge" dans le cas de Loose change, mais sans
fabrication.
L'anticonspirationnisme peut-il devenir lui-même un mode de
désinformation ? A vouloir à tout prix démonter n'importe quelle théorie
alternative à la version officielle, ne risque-t-on pas de participer à une
forme de propagande ? Et inciter les passionnés de toute théorie du complot, au
final, à ne plus tolérer les décryptages "officiels" faits par des
journalistes ?
Complots et conspirations versus vérité officielle
L'histoire est remplie de complots et de conspirations.
L'assassinat du président John Fitzgerald Kennedy a fait l'objet d'un nombre
impressionnant de documentaires, films, articles démontrant qu'il est
impossible que seul Lee Harvey Oswald ait pu tiré les 4 balles ayant tué
le président américain. L'enquête officielle de la commission Warren n'a
jamais été prise au sérieux tant elle était incomplète, bourrée d'erreurs ou
biaisées (voir notre dossier : "Kennedy, 50 ans après son
assassinat". L'assassinat
de Kennedy est une conspiration selon le House Select Committee on
Assassinations (créé en 1976 pour élucider l'affaire Kennedy), mais
laquelle ? Personne ne le sait, chacun suppute simplement que ce qu'il s'est
passé n'est pas ce qui a été officiellement reconnu par les autorités
américaines, à l'époque.
En 2003, suite aux attentats du 11 septembre, Georges Walter Bush
déclenche "une guerre contre le terrorisme" et envahit l'Afghanistan,
là où le commanditaire des attentats, Ben Laden est supposé se cacher. Un an et
demi après cette intervention, l'administration américaine veut convaincre son
opinion — ainsi que les Nations unies - d'envahir l'Irak. Ben Laden serait
allié à Saddam Hussein et des déclarations de preuves d'armes de
destruction massives présentes en Irak sont brandies par Donald Rumsfeld et
Dick Cheney. Ce sont ces "preuves" qui permettront aux
Etats-Unis d'attaquer l'Irak. Il sera par contre démontré par la suite que
ces preuves avaient été fabriquées, qu'elles n'étaient pas réelles. La guerre
d'Irak de 2003 est donc un complot d'Etat, mais révélé comme tel, a posteriori. Avec plus de 120
000 civils irakiens tués durant les 8 années d'intervention et de
présence militaire américaines.
Depuis la découverte en 2004
du mensonge d'Etat américain sur les armes de destruction massive irakiennes,
une part très importante de la population mondiale ne croit plus
l'administration américaine et soupçonne, dans chacune de ses actions, des
intentions cachées. La découverte du complot de la guerre d'Irak a
renforcé la contestation des théories officielles du 11 septembre 2001.
Il est très difficile, dans ce contexte, de réfuter
systématiquement les théories alternatives basées sur des enquêtes
indépendantes. Particulièrement lorsque des enjeux politiques et humains de
grande ampleur sont en jeu. Mettre sur le même plan des théories absurdes
sur des extraterrestres ou un ordre secret qui dirigerait le monde et les
explications non-officielles à propos d'attentats ou de déclenchement de
guerres, permet-il une démarche critique cohérente ?
Thomas Huchon, sur le plateau de TV5Monde en septembre dernier,
commentait les sondages à propos du 11 septembre, selon lesquels 66%
des Français pensent "qu'on nous cache des choses sur le 11 septembre",
que 45% pensent qu'"on ne connaît pas les vrais responsables des
attentats" et que 28% pensent que "le gouvernement américain est
impliqué".
Selon le journaliste, la raison de ces convictions "complotistes" des
Français à propos du 11 septembre proviendrait d'Internet et des résultats
donnés par le moteur de recherche Google, qui, majoritairement, pointent vers
des sites contestant la version officielle ou construisant des théories
impliquant le gouvernement américain ,
Quand les journalistes de Radio Canada choisissent de fournir le maximum d'éléments à
charge et à décharge sur les attentats du 11 septembre, avec pour titre "à
chacun sa vérité", en France, le sujet n'est soit pas abordé (adhésion à
la version officielle, il n'y a plus rien à dire), soit traité par le
prisme du conspirationnisme (quand la version officielle est
contestée). Ce cadre de réflexion binaire sur le 11 septembre,
exprimant une volonté d'amalgame entre toutes les théories contestant une
version officielle et celles prétendant détenir des vérités même les plus
farfelues, est-il productif ? Si 66% des Français ne croient pas en la version
officielle du 11 septembre en tant que telle, est-il sensé de leur renvoyer que
leur conviction est
aussi ridicule que celle sur le complot des reptiliens — conviction
partagée par une part infime des Français ?
Cette méthode qui
consiste à reléguer dans la case conspirationnisme toute théorie qui n'aurait
pas été validée officiellement et médiatiquement, peut-elle confiner à une
forme de propagande ? Que les adolescents aient besoin de "faire marcher
leur cerveau" face aux démonstrations de théories complotistes
avérées est une certitude. De là à leur inculquer que seule la version
officielle émise par leur gouvernement ou les représentants des médias de
leur pays doit être prise en compte, et que toute information la mettant
en doute ou la questionnant, même de la part de médias étrangers officiels — ou
d'organisations non gouvernementales — est à ranger dans la case
du conspirationnisme… le pas est un peu grand.
Avec comme effet possible — si ce phénomène se développait — une forme de
confusion pour ceux qui réaliseront les écarts visibles, et une adhésion
aveugle, sans esprit critique, pour les autres. Dans tous les cas, quand la
vérité ne semble pas évidente ou même tronquée, la meilleure méthode n'est
peut-être pas d'accuser ceux qui s'en étonnent d'être de simples adeptes des
théories du complot. Surtout quand rien d'évident ne peut démontrer qu'une
version est plus "vraie" que l'autre.
05 FÉV 2017
Mise à jour 06.02.2017 à 13:44
par
Pascal Hérard
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